Séance 5 : L'acteur est sa propre matière - travail de l'intérieur

L’acteur travaille aussi à partir de sa propre matière intérieure, cherche ce qu’il a en lui du personnage ou ce qui en lui, peut servir à son personnage.

Dans la première période de ses travaux, Constantin Stanislavski mettait ainsi en avant la primauté du travail sur l’intérieur, à la fois sur l’intérieur du personnage (travail intérieur sur le rôle) et sur l’intériorité de l’acteur : « Ce qui intéresse le spectateur, ce n’est pas tant vos mouvements que ce qui se passe en vous. C’est votre vie intérieure, adaptée à votre rôle, qui doit animer la pièce. (…) Toute démonstration extérieure est conventionnelle et sans intérêt si elle n’a pas une raison intérieure » (Stanislavski, La Formation de l’acteur, p. 168). Ce travail intérieur sera au cœur de l’enseignement de Lee Strasberg à l’Actors Studio, enseignement qui se développe principalement à partir des travaux de Stanislavski, notamment sur la mémoire affective. Cette dernière est selon Stanislavski, puis Strasberg après lui, un outil essentiel pour l’acteur : « Tout comme la mémoire visuelle peut reconstruire des images mentales à partir de choses visibles, la mémoire affective peut ressusciter des sentiments qu’on croyait oubliés jusqu’au jour où, par hasard, une pensée ou un objet les fait soudain resurgir avec plus ou moins d’intensité ou d’acuité. Puisque vous êtes encore capable de rougir ou de pâlir au souvenir de tel ou tel évènement, ou même de redouter certains souvenirs pénibles, j’en déduis que vous possédez une mémoire affective certaine. Mais elle n’est pas suffisamment exercée pour mener à elle seule le combat contre cette fausse émotion que vous déployez sur la scène ». (Stanislavski, La Formation de l’acteur, p. 171-172).

L’acteur doit ainsi savoir utiliser ses souvenirs et les effets qu’ils produisent en lui, sur lui pour faire monter et sortir les émotions les plus justes possibles par rapport à la scène et au personnage. Ce souci de justesse, qui pourra être appelé par d’autres recherches d’authenticité ou de vérité, est au cœur de la réflexion sur le jeu de l’acteur. On le trouve, à la même époque que Stanislavski, chez Eisenstein qui propose un parallèle entre le montage cinématographique (l’opération qui consiste à agencer différents plans) et le travail de l’acteur qui, selon lui, effectue en préparant une scène un travail de montage intérieur : une fois que l’acteur a identifié le trait de caractère de son personnage (la peur du regard d’autrui) et qu’il sait ce qu’il doit jouer (ici la seule solution du suicide), il ne va pas se mettre à « “jouer” les sentiments d’un homme au bord du suicide » mais « fera en sorte que le sentiment recherché l’envahisse ». Pour cela, puisque ce qui importe le plus au personnage est le regard d’autrui, l’acteur va s’imaginer les situations, de plus en plus terribles, où le regard d’autrui va le saisir, le heurter, le déstabiliser jusqu’à l’insupportable. Ainsi le sentiment juste sera déclenché.

Qu’il s’agisse de retrouver en soi le matériau réel qui fera surgir une émotion donnée ou d’effectuer un travail d’imagination similaire à celui du personnage, le travail intérieur est nécessaire au jeu de l’acteur.

Lien : Serguei Eisenstein, « Montage 38 », dans Steven Bernas, Montage créatif et processus esthétique d’Eisenstein, Paris, L’Harmattan, 2008. 

 

Pratique 5 : L’acteur est sa propre matière / extérieur

Objectif : Sortir de soi à travers soi.

  1. Les adolescents reviennent en scène un par un
    • À partir de leur personnage rêvé, ils l’imaginent maintenant exagéré, monstrueux.
    • S’il est énervé, il sera hyper énervé ; si calme, super calme ; si gros super gros ; si violent… 
    • Il s’agit de faire vivre une démesure, monstres et divas, corps transformés à outrance, visages cachés, foulards, perruques, etc. L’élève se servira des chaînes d’actions exagérées elles-mêmes (des émotions, des états exagérés)
  2. Mettre en jeu les « monstres » les uns avec les autres et jouer la scène en cet extrême.
    • L’encadrant notera que dans les excès, on trouve l’essence du personnage, et son existence possible dans le corps même et l’esprit de l’acteur. On arrive ainsi à une émancipation de la psychologie de soi-même par soi-même : du fait de « se cacher » derrière une sorte de marionnette, de figure monstrueuse, une désinhibition a lieu (l’effet carnaval).
      Schéma explicatif de l'exercice des monstres

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Auteurs : Hélène Valmary, Gilles Masson.

Ciclic, 2022.