S’il est vrai qu’être acteur c’est être dépendant du désir de l’autre, d’un réalisateur qui nous choisit, il est d’autant plus vrai qu’être acteur c’est agir, travailler sur soi, avoir une connaissance accrue de sa personne et conscience de ce qu’on donne à voir. À Marseille, le collectif La Réplique œuvre en ce sens au sein des formations qu'elle organise.
On entend beaucoup de prétendants acteur.rice.s dire qu'ils/elles veulent « percer ». Ils envisagent leur activité comme s’il s’agissait de gagner à la roulette russe, au jeu de la chance et du hasard de celui ou celle qui sera repéré.e. Leur démarche consiste souvent à réaliser ce qu’on appelle une bande démo (vidéo composées d’extraits de scènes jouées qui présente la palette de l’acteur), passer des castings et attendre.
S’il est vrai qu’être acteur c’est être dépendant du désir de l’autre, d’un réalisateur qui nous choisit, il est d’autant plus vrai qu’être acteur c’est agir, travailler sur soi, avoir une connaissance accrue de sa personne et conscience de ce qu’on donne à voir.
Entre le fantasme d’une carrière de comédien et la réalité d’une vie d’artiste, il y a le travail, la formation et des choix pas toujours faciles à faire entre le plaisir et les besoins. Être acteur.rice est bien éloignée d’une attitude passive. Être acteur est un métier qui, comme tout métier, s’apprend et se perfectionne régulièrement. C’est une remise en question permanente, un mouvement perpétuel entre un état de doute et de confiance, une posture inconfortable propice aux accidents extraordinaires qui dure toute la vie.
« Ce qui est bien pour une actrice c’est d’être tantôt princesse endormie qu’on vient réveiller et puis un peu soldat, mais ni trop l’un ni trop l’autre. » Isabelle Huppert
Que veut dire jouer ? Quelle est la nature du travail que l'on demande à un acteur ? Quelle est la spécificité du langage cinématographique ? Quel est le rapport de l'acteur à la caméra ? Il existe autant d’écoles que de formateurs et il appartient à chaque acteur, débutant ou expérimenté, de faire son auto-analyse, d’être à l’écoute de son ressenti et de ses envies pour s’améliorer et avancer.
Dans cet apprentissage, il existe bien un socle commun entre le jeu scénique et le jeu caméra.
La préparation de l’acteur comprend des exercices de concentration et d’observation, d'entraînement de la mémoire, des trainings corporels et vocaux, des mises en situations et des improvisation pour cultiver l’imagination, la sensibilité, l’expression des émotions. Le langage du corps tout entier est la matière première pour construire un personnage. Ensuite vient l'espace, le texte et les autres. Les techniques et méthodes, aussi diverses soient-elles, ont toutes pour objectif de gagner en liberté, en inventivité, pour aller vers la vérité de l’acteur.rice, le don de soi, la présence, la singularité.
« Il y a quelques années, j'assistais à un cocktail chez mon agent, et j'avais amené un jeune acteur new-yorkais. Nous nous étions mis à l'aise, assis par terre, et nous discutions des différences entre le jeu de l'acteur au cinéma et au théâtre. Bientôt, je remarquai à côté de moi un mastodonte, qui finit par s'installer près de nous, par terre. C'était Charles Laughton. Il s'est penché, a tapoté le genou du jeune acteur, et lui a dit : "Ce que Nick essaie de vous dire, jeune homme, c'est que la mélodie est dans les yeux. Les mots ne sont que la main gauche." » Nicholas Ray
Justine Simon fait partie du collectif La Réplique, à Marseille, qui comprend 350 comédiens et comédiennes professionnel.le.s questionnant leur art, les modalités et les enjeux de leur métier dans le but de mutualiser les compétences, de partager les savoirs, de stimuler la recherche et de fédérer un réseau de professionnel·le·s. Ce sont les membres qui animent et font vivre ce collectif, avec l’appui de cinq salarié·e·s. Ouverte à toutes les disciplines du spectacle vivant et de l’audiovisuel, La Réplique fait le lien entre la collecte de connaissances et l’acquisition de compétences qui viennent alimenter le geste artistique, à la recherche d’équilibre entre l’émulation, la solidarité et l’emploi.
Depuis 2021, La Réplique développe #I-CI, Immersion-Cinéma, projet de stage professionnalisant à destination des jeunes de moins de 30 ans éloigné·e·s des accès aux formations artistiques, en partenariat avec la Région Sud, Newen, l'ERACM, TF1 Initiatives, les Têtes de l'Art et les directeur·trice·s de casting de la Région. C’est dans ce cadre qu'elle intervient en février 2022 en qualité de comédienne et vidéaste pour témoigner de cette formation dispensée sur une dizaine de jours. Le film Et le cinéma venait réveiller les princesses endormies… est la trace du travail effectué par les organisateurs, les intervenants formateurs et les stagiaires.
Son intention était de rendre compte de la préparation d’un.e acteur.rice, de montrer ce qu’iel fait concrètement, la manière dont iel se met en mouvement pour interpréter un rôle. Il était donc essentiel de révéler les différentes étapes de sa préparation, le processus de répétition avant et pendant le tournage. Dans le film, on devine le travail d’analyse d’une scène, les choix qui en découlent et la multitude d'interprétations possibles. On voit comment fait l’acteur.rice pour adapter ses moyens d'expression à la valeur du plan, la nécessité d’être précis dans les propositions de jeu pour refaire à l'identique tout en cherchant la spontanéité des impulsions corporelles et émotionnelles. On voit le jeu avec les partenaires, avec le rythme, l'espace, les objets.
Et ce que nous voyons le plus finalement, c’est peut-être des personnes. Et c’est justement ce que veut voir le spectateur, la personne. On dit souvent « jouer naturel », on parle de « non-jeu » mais c’est faux, il y a toujours du jeu puisqu’il y a de la fiction, une caméra, une équipe technique tout autour. Le jeu c’est cet intervalle entre deux choses, c’est ce frottement entre moi et l’autre.
« L’acteur ne doit surtout pas devenir autre chose que ce qu’il est. Ne pas devenir la personne qu’il n’est pas. » John Cassavetes
Justine Simon, comédienne et cinéaste.
