Séance 2 : Qu’est-ce que jouer ?

On considère parfois que l’acteur est là pour obéir aux ordres du metteur en scène, aller là où on lui demande, dire un texte de la façon dont on l’exige (qu’il aura pris le soin d’apprendre par cœur). L’analyse de sa contribution au spectacle reste un terrain peu connu mais il est indéniable que l’acteur prend en charge une partie de la fiction, que sa présence vient donner corps, pour ne pas dire chair (il incarne) à une histoire et qu’y arriver nécessite de sa part un travail particulier (et souvent solitaire) en amont et durant le spectacle.

Dans le cas du théâtre comme du cinéma, même si de manière différente pour l’un et l’autre, l’art de l’acteur est un art de la présence : « c’est le règne de l’instant présent. Cela abolit l’avant et l’après. Ce qui compte c’est le moment présent qui ne sera jamais le même » (Isabelle Huppert, Cahiers du cinéma n°723, p. 10). Qu’il s’agisse de savoir être là le temps de la représentation, ou de savoir se mobiliser et concentrer le temps d’une prise parfois très courte, le temps du jeu est un temps restreint, souvent soumis à différentes contraintes, durant lequel l’acteur doit savoir être tout entier à l’histoire qu’il vient raconter. Pour cela, il doit appréhender un certain nombre de techniques lui permettant à la fois de se concentrer, de se relaxer, ou encore de garder une certaine spontanéité ; des techniques qu’il pourra emprunter à d’autres ou inventer en fonction de ses capacités personnelles (que jouer peut permettre de découvrir), de sa propre personnalité. On sait ainsi que, pour garder une certaine spontanéité, un acteur comme Marlon Brando épinglait ses répliques sur le dos de son partenaire (Maximilian Schell dans Le Bal des maudits), ou les collait à différents endroits du décor (Le Parrain).

Photogramme du film Elle

L’enjeu des exercices et travaux menant l’acteur à développer un certain nombre de techniques vise avant tout à ce qu’il fasse « réellement », et non pas seulement « comme si ». Les enseignants du jeu dont on possède retranscriptions des cours, ou les réalisateurs faisant part de leurs expériences de tournage, peuvent ainsi pointer du doigt le problème de voir que l’acteur est en train de jouer. Ainsi Bruno Dumont raconte-t-il son travail sur un film institutionnel pour Leroy Merlin où l’acteur qui jouait le vendeur « appuyait sur tout, c’était son idée du vendeur. Et je lui expliquais que non, qu’il fallait essayer d’être naturel et je n’arrivais pas à régler ça. Ce vouloir du naturel que j’avais en moi, je n’arrivais pas à l’atteindre et tout me paraissait outré. Tout était pensé, tout était réfléchi, son placement, son texte aussi » (cité dans La direction d’acteur, p. 175). Arriver à la spontanéité, à un abandon, à un lâcher prise : autant de défis et d’enjeux pour l’acteur et celui qui le guide. Les exercices préparatoires à un spectacle ou un tournage essaient de donner des outils à l’acteur pour arriver à être là, authentique et vrai.

Pratique 2 (après échauffement : samouraï) : Qu’est-ce que jouer ? L’acteur créateur

Jouer, c’est développer son intelligence, son jugement, son imagination, sa créativité, son sens de l’organisation, son sens de la collaboration, son sens de l’entraide, du compromis et de l’empathie, c’est aussi être capable de faire des choix.- Michelle Chamard, « Que voulons-nous pour nos enfants ? »,
le 3 janvier 2015, sur le site du quotidien Le Devoir, (www.ledevoir.com)

Objectifs : Réflexe, écoute et intuition. Observation et engagement physique.

1) C’est lancer des balles…

- En cercle debout, on se lance une balle, le but est d’être fluide, pas de surprendre l’autre.
- Le jeune qui lance la balle donne un mot en lançant.
- Celui qui réceptionne donne un autre mot par association d’idées (toujours en rapport avec le dernier mot donné) et relance la balle à un autre du cercle en proposant un autre mot, etc.

Schéma explicatif de l'exercice de la balle

2) Marche 1

Tous en cercle : l’adolescent n°1 traverse plusieurs fois en marchant le plus « naturellement » possible puis reprend sa place. L’adolescent n°L’2 traverse à son tour plusieurs fois en reprenant la marche de ce dernier, avec ses particularités, son rythme, sans caricature. On le fait avec chaque membre.

Schéma explicatif de l'exercice de la marche (1)

3) Marche 2

Deux groupes, face à face, deux par deux se croisent au plateau.              

L’un propose une marche exagérée, atypique et l’autre en face en propose une autre. Ils avancent l’un vers l’autre ; ils échangent leurs marches à mi-chemin.

 Schéma explicatif de l'exercice de la marche (2)

Schéma explicatif de l'exercice de la marche (2)

Objectifs : Sensation organique du présent / « dasein ».

1) Sentir l’espace

En petits groupes, les adolescents, les yeux bandés, marchent tous ensemble en toutes directions lentement avec délicatesse, et avec pour consigne de s’approcher sans se bousculer … jusqu’à se toucher délicatement...

2) Variante

Reconnaître l’autre au toucher.

Schéma explicatif de l'exercice du toucher

Objectifs : Être en jeu, puis hors. On/off sans réfléchir.

3) « Action », « coupez »

On dessine au sol un carré de 3m sur 3m (scotch, papier ou craie).

Tous en cercle autour, chacun tire au préalable deux états (tristesse, colère, peur, joie, excitation, …) écrits sur de petits papiers.

L’assistance désigne deux personnes qui rentrent dans le carré et immédiatement, dès la ligne franchie, entrent dans leur état (un au choix parmi les deux). Chacun entre en interaction avec l’état de l’autre participant (Avoir peur de la joie, être en colère contre la tristesse...). Aucun dialogue ne s’échange, éventuellement des borborygmes…  On explore les possibles de l’état et de cette rencontre, des accidents nés de la rencontre, sous différentes facettes : cris, douceur, en antagonisme avec l’autre, en adéquation, exagéré, etc. Quand l’un pense avoir fait le tour, il sort et redevient immédiatement lui-même. L’assistance en désigne un autre, qui rentre dans le carré et ainsi de suite.

4) Variante

On reprend le même exercice en ajoutant pour chacun une phrase simple (ex : « ça va bien »   ou « je vais faire tout à fait autre chose », « tu ne m’aimes plus ? ».

Schéma explicatif de l'état d'âme

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Auteurs : Hélène Valmary, Gilles Masson.

Ciclic, 2022.