Séance 6 - Qui voit quoi ? Je ressens ce que tu vois

Point de vue subjectif, rêve et hallucination

Le « point de vue subjectif optique » (cf. la séance 5 du présent parcours) se double parfois d'un effet optique qui renforce encore le processus d'identification. Le spectateur non seulement voit à travers les yeux d'un personnage mais il est également invité à partager ses sensations. Ces effets optiques de subjectivité (flou, surimpression, grand angle, modification des couleurs, mouvement de la caméra, effet de zoom) traduisent un état physique (malaise, ébriété, vertige) ou psychique du personnage (stupeur, angoisse, béatitude, rêve, hallucination), donnant ainsi un accès direct à l'intériorité de ce dernier.

Dans Docteur Jekyll et Mister Love (1963), le timide professeur projette son fantasme sur l'étudiante dont il est secrètement amoureux et sa représentation sublimée se substitue, en surimpression et en fondu enchaîné, à l'image de la jeune fille.

Docteur Jerry et Mister Love (The Nutty Professor, 1963) de Jerry Lewis, édité en vidéo par Paramount Pictures.

Au cours de La Ruée vers l'or (1925), dans la cabane isolée en haut de la montagne au milieu d’une tempête de neige, la faim fait délirer Big Jim, le chercheur d’or, qui s'imagine que Charlot, son compagnon d'infortune, s'est transformé en poulet. Le mécanisme est le même que dans l'exemple précédent : la transformation s'opère à vue, mais la métamorphose de Charlot en poulet, objet de l'hallucination de Big Jim, produit un double effet sur le plan. Simultanément, le spectateur voit non seulement ce que voit Big Jim mais aussi Big Jim en train de voir ce qu'il voit. Il partage l'hallucination de Big Jim mais son point de vue n'est pas seulement subjectif, puisque le plan donne également à voir le chercheur d'or. C'est un point de vue qu'on pourrait appeler « subjectif-objectif ».

La Ruée vers l’or (The Gold Rush, 1925) de Charles Chaplin, édité en vidéo par MK2/Potemkine.



Dans Les Temps modernes (1936), le couple de sans-abris formé par Charlot et « la gamine » rêve de bonheur domestique. « Vous nous voyez dans une petite maison comme celle-là ? » : la phrase lancée par Charlot déclenche une vision qui prend la forme d'une séquence dans laquelle les deux personnages apparaissent en couple heureux, installés dans un intérieur domestique féérique. Même si cette vision ne présente pas les signes extérieurs d'un point de vue subjectif que le spectateur serait enjoint de partager, ce dernier a accès à cette parenthèse enchantée, née d'un rêve commun.

Les Temps modernes (Modern Times, 1936) de Charles Chaplin, édité en vidéo par MK2/Potemkine.


Le point de vue subjectif et ses variations constituent un moyen puissant pour accéder à l'intériorité d'un personnage et représenter une réalité modifiée.

Activité : envisager la réalité sous un autre point de vue

Transposer/transformer une situation ordinaire (à partir des images de films ci-dessous, ou de toute autre image) et dessiner sa version rêvée, sublimée, fantasmée, hallucinée...

Meurtre (Murder, 1930) d'Alfred Hitchcock, édité en vidéo par Studiocanal.

Où est la maison de mon ami ? (Khāneh doust kojāst ?, 1987) d'Abbas Kiarostami, édité en vidéo par Les Films du Paradoxe.

Les Larmes du tigre noir (Fa thalai chom, 2000) de Wisit Sasanatieng, édité en vidéo par EuropaCorp

Edward aux mains d'argent (Edward Scissorhands, 1990) de Tim Burton, édité en vidéo par 20th Century Fox.

SUITE


Autrice : Delphine Simon-Baillaud, enseignante de cinéma et vidéaste.
Supervision : Jean-François Buiré.
Ciclic, 2019.