Plein emploi - Histoire du gore

Brève histoire du film gore

On pourrait faire remonter l'origine du spectacle sanglant à Shakespeare et son Titus Andronicus (1593). Dans cette pièce, toujours décriée pour son mauvais goût, on coupe les mains et les langues, les enfants sont cuits au four et dévorés. En 1897, André de Lorde monte le Grand Guignol, un théâtre exclusivement consacré à l'épouvante. Ces courtes pièces, parfois adaptées de grands auteurs comme Maupassant, sont un festival d'opérations chirurgicales sanglantes, d'organes arrachés, de visages brûlés, de cannibalisme.

Gore surréaliste

Même si le cinéma, qui naît à la même époque, ne tire que peu parti du Grand Guignol, son influence fut certaine. On compte ainsi les surréalistes parmi les spectateurs du théâtre d'André de Lorde. Nadja d'André Breton est construit autour d'une pièce de Grand Guignol : Les Détraquées d’Olaf et Palau. L'influence de ces pièces se fait également sentir dans Un chien andalou (1929) de Luis Buñuel et Salvador Dali, qui contient le premier effet gore de l'histoire du cinéma : un œil de femme coupé au rasoir. Le plan mérite la qualification de gore pour deux raisons. D'abord pour l'usage du gros plan qui isole l'organe et l'effet sanglant. Ensuite pour le recours à un effet spécial : un œil de bœuf étant substitué à celui de la femme.
Outre ses images dérangeantes et son récit énigmatique, c'est ce plan qui a rendu célèbre Un chien Andalou et provoque aujourd’hui encore un grand effet répulsif.

Années 1960

Dans les années 60, aux USA, sortent les premiers films gores, Blood Feast (1963) et 2000 Maniacs (1964) réalisés par Herschell Gordon Lewis. Bien que dénué du moindre talent, H.G. Lewis a l'intuition du potentiel commercial de l'ultraviolence et de l'hémoglobine. Le grand succès de ses films a ouvert la voie aux représentations hyperréalistes de cinéastes comme Sam Peckinpah (La Horde sauvage, 1968) ou Arthur Penn (Bonnie & Clyde, 1966).

Lorsque George Romero tourne La Nuit des morts-vivants (The Night of the Living Dead, 1969), il ne s'agit que d'un petit budget indépendant destiné aux drive-in et aux salles de province. Rapidement, le film gagne ses galons de film le plus terrifiant de l'histoire du cinéma. A la différence des films d’H.G. Lewis, le sang (d'ailleurs atténué par le noir et blanc) n'est pas l'unique élément transgressif du film. Ce qui dérangea d'abord l'Amérique de 1969 fut de voir un héros noir abattre un père de famille blanc et une enfant devenue zombie dévorer sa mère.

Années 1970

La Nuit des morts-vivants ouvre la voie au gore des années 70, sérieux, extrême et politique. Jamais, sinon sur un registre ouvertement parodique, les décennies suivantes n'atteindront une telle intensité. L'un des films les plus marquants de la décennie, qui n'est pourtant pas un film gore, l'influencera durablement : Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chain Saw Massacre, 1974) de Tobe Hooper. On ne trouve que très peu de sang dans le film de Hooper, l'horreur restant hors-champ. Pourtant, outre son terrifiant engin de mise à mort, c'est le renvoi de l'être humain à de la chair animale qui constitue une violence psychologique surpassant bien des films explicites de l'époque.
Au Canada, un jeune cinéaste du nom de David Cronenberg fait également ses premières armes. Il effectue la même critique de la société canadienne que ses confrères américains. A une société puritaine et hygiéniste, Cronenberg oppose des corps en mutation, enfreignant tous les tabous. Ainsi, les habitants de l'immeuble de Frissons (Shivers, 1975) sont contaminés par un parasite et sont pris d'une fièvre sanglante et érotique. La jeune femme de Rage (Rabid, 1977) voit un organe inconnu pousser sous son aisselle qui transmet la rage à ses amants. Bien qu'il ait par la suite évolué vers un cinéma plus classique, David Cronenberg reste l'un des plus grands auteurs du cinéma gore, ses films travaillant une émotion autant viscérale qu'intellectuelle.

George Romero marque à nouveau la décennie avec la suite de La Nuit des morts-vivants : Zombie (Dawn of the Dead, 1978). Cette satire violente de l'Amérique des années 70 et référence majeure de Plein emploi, marque l'apogée des excès de violence du cinéma des années 70.
L'une des raisons des explosions de sang qui marquèrent la décennie, serait à chercher dans le traumatisme de la guerre du Vietnam. Le maquilleur Tom Savini, qui créa les plus mémorables effets du cinéma gore, ne put participer au tournage de La Nuit des morts vivants en raison de son incorporation au Vietnam. Il raconta souvent comment les horreurs véritables qu'il vit là-bas influencèrent le réalisme de ses créations, en particulier celles de Zombie [i].

Gore contemporain

Dans les années 80, le gore trouve un nouveau public chez les adolescents avec la série des Vendredi 13. Ces films aux scénarios mécaniques racontent le massacre de jeunes vacanciers par un tueur masqué nommé Jason. Politiquement inoffensifs, ils exploitent avant tout une curiosité adolescente morbide.
De la fin des années 80 aux années 2000, le gore quitte progressivement les écrans et n'existe plus que sous forme parodique. Stuart Gordon tourne un petit chef-d’œuvre surréaliste avec Re-Animator (1985) d'après H.P. Lovecraft. Tous les organes de ses personnages de morts-vivants sont doués de vie : main, tête coupée, intestins, etc. Dans le délirant Brain Dead (1992), Peter Jackson, futur réalisateur du Seigneur des anneaux, accumule les effets sanglants avec un réjouissant sens de la démesure.

Où en est le cinéma gore aujourd'hui ? Si le succès de la série Saw exploite à nouveau la fascination brute de l'effet gore, les films d'Eli Roth, Hostel 1 (2006) & Hostel 2 (2007), perpétuent la dimension politique du genre. De jeunes Américains, passant leurs vacances en Europe de l'Est, sont vendus à de riches tortionnaires. Le monde de cauchemar où sont projetés les héros prend sa source dans les tortures de la prison d'Abou Ghraib et les images d'exécutions d'Al-Quaïda. Face à des images d'horreur réelle circulant dans tous les médias, il reste au cinéma la part critique, tel est le message qu'entend faire passer Eli Roth.
Si Plein emploi fait référence aux classiques du film d'horreur, son propos est aussi contemporain que celui des films d'Eli Roth. En transposant symboliquement le libéralisme sauvage et la "flexibilité" des travailleurs précaires, Plein emploi s'inscrit lui-aussi dans le versant politique du film gore.

Stéphane Du Mesnildot, 2010


[i] N.B. Dans le livre 26 secondes, édité par Rouge Profond, Jean-Baptiste Thoré développe la thèse selon laquelle la violence du cinéma américain des années 1960 et 1970, et en particulier sa veine gore, trouverait son origine dans l’ultra-violence des images de l’assassinat du président Kennedy en 1963.