Plein emploi - Analyse du film

Éventrer les apparences

Plein emploi travaille l’image officielle du réel. Les réalisateurs adoptent d'abord le style des reportages télévisés qui, justement, se caractérisent par leur absence de style et leur fadeur. La mise en scène est d'une platitude toute consensuelle. Le physique plutôt aimable de Miro, sa blondeur et la blancheur de ses vêtements, participent de cet aplanissement du réel. De la voix off aux interviews, le ton est celui d'une propagande douce, faisant la promotion du système d'aide aux travailleurs âgés. M. Janssen, le senior assisté par Miro, semble effectuer un besogneux travail de bureau, compatible avec son handicap. Plein emploi, de prime abord, décrit une société bureaucratique, sans charme et routinière.
Le premier effet humoristique provient du déplacement des codes télévisuels dans un court métrage de fiction. Nul doute qu’en tombant, au hasard d’un zapping, sur la première partie de Plein emploi, nous n'y aurions vu que du feu. C'est donc la connaissance préalable de son caractère fictionnel qui fait ressortir l’humour du film et implique un suspense. Que dissimule cette surface lisse ? Quand va-t-elle se déchirer ?

  • On pourra projeter le film aux élèves sans leur dire que le film bascule du (faux) documentaire vers la fiction, pour préserver l'effet de surprise. L'analyse de cette surprise permettra un premier travail sur les attentes créées par les codes télévisuels.

Le zombie, un monstre naturaliste

Contre la représentation aseptisée du reportage télévisé, c'est au film d'horreur que revient la représentation de la violence bien réelle de la société capitaliste. Les réalisateurs placent les zombies à l'intérieur d'une entreprise nommée Vivaldi ; on entend presque Vivendi, symbole de l’échec du libéralisme sauvage. Dans la société décrite par Plein emploi, les stagiaires non payés sont exploités sans remords et les personnes âgées sont contraintes de travailler jusqu'à épuisement. Tout l'organigramme de l'entreprise est « zombifié » : secrétaires, cadres, stagiaires. La démarche rigide, ensanglantés, les yeux révulsés, ils sont reconnaissables à leur tailleurs, leurs chemisiers, leurs costards-cravates. Le zombie projette une parodie noire, grinçante, de nos sociétés. C’est qu’à la différence des autres créatures du bestiaire fantastique, le zombie est un monstre naturaliste. Il redessine une autre espèce à l'intérieur même de l'humanité, uniquement motivée par l'instinct de survie. Rien d'étonnant à ce que le zombie, caractérisé par une insatiable faim, ait fait un retour massif en nos temps de crise mondiale, d'épidémie, d'émeutes de la faim et de catastrophes naturelles.

Une société cannibale

Une fois passée la porte de l'ascenseur de l’entreprise nous quittons donc le reportage télévisé pour entrer dans le film d'horreur. Oberlies et Vogel abordent le genre avec franchise, sans lésiner sur les effets sanglants. En quelques minutes, ils font le tour du lexique du film de zombies tel qu'il a été défini par George Romero : giclures de sang, explosions de crânes, éviscérations, repas cannibale... Le montage s'accélère et Janssen passe du statut de bureaucrate à celui de vieux mercenaire du cinéma d'action.
Cette soudaine déferlante d'images sanglantes provoque un irrésistible effet comique. Créatures inusables, à la fois gaffeuse et opiniâtres, comme inconscientes de leur propre mort, elles sont très proches des figures du cinéma burlesque. Relevant également du burlesque est le personnage de Miro qui, au milieu du sang, du chaos et de la violence, continue d'assister consciencieusement Janssen, comme si l'extermination de zombies était une part ordinaire de son travail. De son côté, Janssen élimine les morts-vivants de façon froide et professionnelle, exactement comme un bureaucrate résoudrait sans état d'âme une crise dans une entreprise, par exemple un plan social. 

Comme toute « short story » horrifique, Plein emploi ménage une chute. Celle-ci a lieu au milieu du générique, lorsque Janssen est interviewé. S'il continue son travail, ce n'est pas par plaisir mais parce que sa pension ne lui permet pas de vivre. Ses petits enfants étant eux-aussi des stagiaires non payés, sa famille ne peut l'aider. Le chasseur de zombie ne se situe pas au-dessus du système, il en est aussi la victime, au même titre que le jeune homme qui l'assiste.
Sous la farce et le gore, en dévoilant l’horreur occultée par un reportage faussement réaliste, Plein emploi critique violemment un monde où l'on survit plutôt qu’on ne vit.

Stéphane Du Mesnildot, 2010