Plein emploi - Histoire du zombie

Le zombie, de Haïti à Magdeburg

Le zombie est une figure du folklore haïtien désignant un homme en état de mort artificielle, amnésique et sans volonté. Vendu comme main d'œuvre par un sorcier, il est d'abord une métaphore de l'esclave. Les premiers films de zombies relèvent de l'épouvante exotique. Citons Les Morts-vivants (White Zombie, 1933) de Victor Halperin avec Bela Lugosi et Vaudou (I walked with a Zombie, 1943) de Jacques Tourneur, célèbre pour son immense zombie noir. Nous sommes cependant loin des films ultraviolents de George Romero.

Zombies politiques

Le vrai prédécesseur du film de morts-vivants est L'Invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of the Body Snatchers, 1956) de Don Siegel, qui en recèle toutes les caractéristiques : décor banal de petite ville américaine investi par l'horreur ; masses d'êtres humains aux yeux vides poursuivant le héros ; peur de la contamination. Le zombie représente alors l'être humain vidé de toute individualité par la machine totalitaire, qu'elle soit communiste ou maccarthyste.
En Angleterre, John Gilling tourne pour la célèbre firme Hammer (à qui l'on doit les Dracula et Frankenstein de Terence Fisher), L'Invasion des morts-vivants (Plague of the Zombies, 1966) : des maléfices vaudou servent à posséder les ouvriers d'une cité minière. Ce véritable ancêtre des films de zombies modernes joue sur l'horreur de cadavres décomposés revenus à la vie. Gilling propose un intelligent parallèle entre les zombies haïtiens et le prolétariat anglais.
Le zombie resta malgré tout une figure marginale du cinéma d'horreur, jusqu'au choc que causa La Nuit des morts vivants (Night of the Living dead) de George Romero en 1969. Ce petit budget en noir et blanc, destiné aux drive-in, devint un film culte. Outre une grande beauté plastique, Romero apporte une donnée essentielle à la figure : le cannibalisme, qui en décuple l'horreur. Un héros noir, une cellule familiale recluse dans une cave et bientôt dévorée par sa propre progéniture : le discours politique extrêmement virulent s'accorde aux mouvements contestataires de la fin des années 60. Cette dimension politique perdurera dans tous les films de la série. Zombie (Dawn of the Dead, 1978), avec ces survivants enfermés dans un supermarché, donne l'image d'une Amérique repliée sur ses richesses, assiégée par le tiers-monde. Dans le troisème volet, Le Jour des morts vivants (Day of the Dead, 1986), l'être humain devient minoritaire, contraint de se cacher sous terre, alors que les zombies, capables d'humanisation, évoluent au grand air.

Zombies en réinsertion

Dans la seconde moitié des années 2000, le mort-vivant devient le monstre le plus populaire du cinéma d'horreur. Poussé par le remake de Zombie par Zack Snyder (L’Armée des morts, 2004), George Romero entame une seconde trilogie marquée par la politique de George W. Bush, la seconde guerre du Golfe, le camp de Guantanamo et l’ouragan Katrina : Land of the Dead (2005), Diary of the Dead (2008), Survival of the Dead (2013). Le zombie, de plus en plus ancré dans le réel, donne lieu à d'intéressantes variations. Fido (Andrew Currie, 2006) se déroule pendant les années 50 et montre un zombie domestiqué par une "desperate housewife". Dans Les Revenants (2003), Robin Campillo fait revenir les morts, dans leur apparence normale, et pose la question de leur réinsertion dans la société des vivants. Dans le très réjouissant Shaun of the Dead (2003) d'Edgar Wright, vendeurs d'électroménager, chômeurs, caissiers de supermarchés, sont filmés comme les morts-vivants d'une Angleterre morne, socialement sinistrée et peu éloignée des films de Ken Loach. Proche de Plein emploi pour sa critique sociale et son humour très gore, le film d'Edgar Wright  rappelle que le zombie fut dès ses origines le monstre du prolétariat.

Stéphane Du Mesnildot, 2010