Fard - Mise en scène

Un polar d’anticipation

La première séquence du film nous immerge dans un univers étrange mais familier des amateurs de films d’anticipation. Dans le plan qui suit le carton du titre, la caméra à l’épaule suit (et nous avec elle) un personnage sur un tapis roulant. À la sortie de ce trajet presque flottant, nous découvrons une ville qui se déploie, faite d’arcades aux motifs géométriques, et s’élevant très haut, avec un train qui passe loin au-dessus de nos têtes. La voix féminine rappelle celle de notre SNCF, mais avec un timbre métallique qui la rend irréelle, comme dans Blade Runner ou THX 1138. Nous comprenons d’emblée que nous sommes dans un univers de science-fiction, avec un aspect rétro-futuriste renvoyant à la fois à l’avenir tel qu’on l’imagine et au passé, que l’on retrouve dans de nombreux films "live", comme Bienvenue à Gattaca.

Un monde impersonnel

Cette impression est accentuée par des éléments de décor, comme l’écran géant où apparaît un visage que l’on devine féminin mais sans trait distinctif, tenant un discours rassurant mais qui laisse à penser que nous sommes dans un univers autoritaire, où l’individu n’a pas sa place et doit se fondre dans la masse, obéir aux règles en vigueur. Quand elle affirme "chaque individu est unique", le spectateur sait ainsi qu’il faut comprendre l’inverse. En outre, le personnage qui apparaît en amorce dans le bord gauche lorsque le personnage principal sort du cadre renforce l’impression que tout le monde est sous surveillance. L’utilisation systématique de la caméra à l’épaule, qui indique souvent que la caméra accompagne le regard de quelqu’un, va aussi dans ce sens.

Les personnages qui entourent Oscar ont la même allure, des costumes identiques et se fondent dans un décor minimaliste. La palette chromatique dans les tons gris-beige uniformise l’ensemble. Les visages ne sont pas vraiment visibles, dans l’ombre ou hors-champ, comme celui du collègue d’Oscar qui le félicite pour sa présentation. Les plans très larges de la ville sont trop éloignés des personnages pour les identifier et les transforment en fourmis.

Le bureau d’Oscar renvoie également à une imagerie cinématographique typique de la science-fiction, qui renforce l’impression d’inquiétante étrangeté, car il n’est pas si différent que ce que nous connaissons dans notre monde. L’open space dans lequel les personnages sont alignés, assis les uns à côté des autres, rappelle la salle de travail de Bienvenue à Gattaca par exemple, où les personnages en costumes sombres travaillent bien droit, ne laissant aucune trace d’humanité sur leur passage. Cet espace ouvert interdit toute intimité. Nous comprenons d’ailleurs très clairement que l’intimité amoureuse ne doit pas se montrer au grand jour (elle est même peut-être interdite) lorsque Oscar rencontre Lisa dans l’ascenseur et qu’ils s’échangent des banalités alors que leur lien est plus fort.

Sous les apparences

Cet univers clair et propre, codifié, en adéquation avec la vie des personnages, est opposé à celui sombre et sale des égouts dans lesquels se cache Oscar, et du monde dissimulé. La lampe et son rayon de vérité efface le fard blanc et immaculé qui recouvre tout pour révéler en images réelles la peau humaine dont nous pouvons, comme Oscar dans le miroir, inspecter les imperfections et palper la texture. Le décor subit le même traitement : les murs blancs révèlent des briques et sous le buffet aux lignes épurées se cache un meuble en bois vermoulu.

Le visible et l’invisible posent la question du réel, ou plutôt de la vérité. Après avoir été ramassé par les hommes en noir, Oscar est sur une table d’opération, re-fardé par un robot. Le vrai est camouflé sous le faux, mais les deux n’en sont pas moins réels. Ce qui n’est pas visible n’est pas forcément absent, contrairement à ce que se répète Oscar ("Ce qui ne se voit pas n’existe pas"). À l’inverse, ce que l’on voit n’est pas forcément réel, comme l’image holographique des messages téléphoniques, ou le visage sur l’écran géant. Plus que l’apparence, l’essence même des choses et des personnages semble être modifiée par le rayon lumineux. Ainsi, Oscar qui semble calme et posé dans la première partie du film, devient violent et gifle Lisa. Il regarde ensuite sa main, comme si celle-ci était indépendante de sa volonté et qu’il découvrait un nouveau pouvoir.

La vérité fait peur

Oscar s’en prend violemment à Martin, comme s’il lui en voulait de lui avoir fait découvrir la vérité. Il veut se voiler la face en répétant une phrase qui semble être un slogan produit par le système ("Ce qui ne se voit pas n’existe pas") et c’est précisément le système qui se chargera pour lui de remettre une couche de fard et d’oubli sur la vérité. Ainsi, Oscar n’aura pas le temps de prendre le chemin qu’on aurait pu attendre de lui, celui de la résistance au mensonge.

Cécile Giraud-Babouche, 2011