Fard - Filiations

"Parce que chaque individu est unique et irremplaçable"

Fard est directement inspiré de deux chefs-d’œuvre de la littérature de science-fiction : Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, ainsi que de 1984 de George Orwell, mais il est également à mettre en relation avec plusieurs films de science-fiction, de par les thèmes qu’il explore ou reprend, ainsi que dans ses choix esthétiques.

L’individualité à reconquérir est l’un des grands thèmes de la science-fiction. Le monde autoritaire qui ne dit pas son nom en faisant mine de protéger et de faire le bonheur de la population est la base de nombreux films, comme Total Recall de Paul Verhoeven, réalisé en 1990 et adapté d’un roman de Philip K. Dick, où l’on ne discerne plus le rêve de la réalité. Comme dans Fard, le réel est caché sous une épaisse couche de mensonge et les identités se mêlent. Le corps peut être un déguisement, comme il l’est dans Men in Black de Barry Sonenfeld (1997), dans un autre registre. La question de l’être et du paraître est également centrale dans Blade Runner de Ridley Scott, sorti en 1982 et inspiré lui aussi d’une œuvre de K. Dick. Les replicants, des androïdes quasi-identiques aux êtres humains, se mêlent à la population, et seule leur absence d’émotion permet a priori de les reconnaître. À la fin du film, l’homme qui est chargé de les traquer s’avère être lui-même un replicant, sans en avoir conscience et sans que le spectateur ne s’en soit rendu compte.



Metropolis de Fritz Lang, réalisé en 1927, soit quatre ans avant la parution du Meilleur des Mondes, et THX 1138 de George Lucas, réalisé en 1971, sont deux des meilleurs représentants de la mise en scène d’un régime totalitaire, avec des mondes souterrains dans lesquels les hommes et les femmes sont traités comme des robots. Dans Metropolis, les ouvriers reclus dans le monde d’en bas ont tous la même tenue de travail et marchent au pas, en rang, tête baissée, alors que les plus riches vivent à l’air libre dans un monde luxueux. Dans THX 1138, les personnages ont la tête rasée, sont vêtus de blanc et doivent prendre quotidiennement leur ration de pilules qui leur fait rester dans le rang dans un décor minimaliste à la blancheur immaculée, qui rappelle bien celui de Fard. La voix que l’on entend dans la rue et au bureau d’Oscar dans Fard est également à rapprocher de celle de THX 1138 qui scande "Buy more", "Be happy", "You have nothing to be afraid".



Dans l’ensemble de ces films, un Big Brother (nom inventé par Orwell) invisible contrôle les individus, assimilés à des robots ou des esclaves, qu’ils en aient ou pas conscience et, comme en tant de guerre, une résistance se met en place. Tout écart peut être fatal pour ceux qui sont sous le regard de Big Brother et les dissidents sont traqués, comme dans Fard, par des êtres à l’allure identique, sans identité propre, comme une armée d’ombres. L’impression illusoire de liberté que peuvent avoir les personnages de Blade Runner, Total Recall ou 1984 (dont un film a été tiré par Michael Radford) est la même dans Fard.



Un autre film peut être évoqué : Bienvenue à Gattaca d’Andrew Nicol, sorti en 1997, dans lequel la génétique est toute puissante. Dans ce  futur proche, il n’est pas obligatoire, mais recommandé, de faire appel à des généticiens pour concevoir un enfant qui sera doté de toutes les qualités, contrairement aux enfants de l’amour. Ces surdoués qui sont devenus la normalité travaillent à Gattaca, un centre de recherches spatiales, et semblent étonnamment semblables, vêtus de costumes sombres. Les bureaux identiques côte à côte en open space, rappellent bien ceux de Fard, et il s’agit pour le personnage principal de se faire passer pour un être issu de la génétique alors qu’il est un enfant "naturel". Il sculpte son corps, transforme son allure, maîtrise son visage pour se fondre dans la masse de l’élite, et il est impossible, ou presque, de le différencier des autres.



Dans ces films où se mêlent quête identitaire et quête de vérité, on rencontre souvent deux types de personnages : ceux qui acceptent le monde tel qu’il est et ceux qui résistent au mensonge et à l’uniformisation. Dans Fard, Martin semble résister, alors qu’Oscar, pourtant personnage principal, ne dépasse pas le stade de la sidération face à la preuve qu’il y a une vérité sous les apparences.

Cécile Giraud-Babouche, 2011