Tendances des interventions territoriales, l'analyse des pros #3 : Frédérique Bredin

Ciclic a proposé à plusieurs personnalités concernées par les politiques culturelles en faveur du cinéma et de l'audiovisuel de commenter les Tendances issues du tout nouveau Panorama des interventions territoriales. C'est au tour de Frédérique Bredin, Présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) de nous livrer ses réactions et analyses.

Quel est votre premier sentiment à la lecture des Tendances 2016
des interventions territoriales ?

Tout d’abord, je voudrais rappeler que le CNC est très présent sur les territoires, à travers notre partenariat avec les collectivités et le travail que nous faisons avec elles pour favoriser la diversité de la production, des grandes comédies aux films plus intimistes, pour attirer davantage de tournages, et créer ainsi de l’emploi partout en France. Pour le CNC, c’est un investissement de près de 16 millions d’euros par an. Sans compter notre soutien aux salles, à l’éducation à l’image, ou encore aux festivals, aux cinémathèques…D’ailleurs, le CNC a mené une étude afin d’évaluer l’impact du dispositif "1€ du CNC pour 2€ de la collectivité", qui est l’un des piliers de notre aide aux territoires. Il en ressort que leur investissement n’a cessé d’augmenter en dix ans malgré les contraintes budgétaires, ce qui fait d’elles des partenaires essentiels du secteur de l’audiovisuel et du cinéma, et plus particulièrement du cinéma d’auteur.

Parmi tous les films soutenus par les Régions, par exemple, trois ont reçu la Palme d’or, Entre les Murs de Laurent Cantet, Amour de Michael Haneke, La Vie d'Adèle d’Abdellatif Kechiche, et deux le Grand Prix du jury au Festival de Cannes : Flandres de Bruno Dumont et Un Prophète de Jacques Audiard. Comme vous le voyez, ces politiques ont un impact culturel très important, mais aussi économique et social. Elles créent de l’activité et de l’emploi. On le voit, en 10 ans, le nombre de personnes travaillant dans le secteur a progressé près de 30%, pour atteindre plus de 185 000 emplois au niveau national.


L’une des surprises de ces Tendances 2015 est le recul du soutien des collectivités à la fiction TV après des années d’embellie.
Peut-on trouver des explications à ce basculement ?

Il ne s’agit aucunement d’un basculement ni d’une tendance. Comme vous pouvez le constater dans le bilan que vous venons de publier, le volume d’œuvres de fiction produites en 2015 est stable par rapport à 2014. Ce sont les devis qui ont baissé de 10%, et cela s’explique par le développement des séries de 52 minutes et la baisse des unitaires de 90 minutes. 

Dans certaines collectivités territoriales, la primauté irait à la création plutôt qu'aux retombées économiques.  Pensez-vous que ce choix a des conséquences sur la pérennité d'une filière locale ou, au contraire, favorise l'émergence d'un écosystème viable ? 

L’un ne va pas sans l’autre. Produire des œuvres, c’est développer la filière, développer l’emploi, et l’activité économique d’une région. Chaque film, chaque tournage est l’équivalent d’une PME. Lorsqu’une Région dépense 1€ dans le cinéma et l’audiovisuel, elle récupère, en moyenne, plus de 7€ liés aux dépenses de tournages, aux frais techniques... Sans compter que les films, les séries, etc. sont une formidable vitrine pour le développement du tourisme dans les régions. Regardez, par exemple, comment s’est développé le tourisme dans le Nord de la France, à Bergues notamment, avec des tours opérateurs qui proposent de visiter les lieux de tournages de Bienvenue chez les Ch’tis ou de découvrir le site minier d’Arenberg qui a servi de décor au film Germinal, etc. Et le ciné-tourisme ne concerne pas seulement le Nord…  C’est l’un des grands bénéfices des tournages en région.

De plus, le renforcement des crédits d’impôt voulu par le Gouvernement et voté par le Parlement, va amplifier les tournages en France. Grâce à ces nouvelles mesures, et la force de notre politique en régions, la France est devenue l’un des pays plus attractifs au monde. Dès le premier trimestre de l’année, c’est une dizaine de films, français ou étrangers, dont le tournage a été relocalisé en France grâce à cette réforme. Cela signifie déjà 170 millions d’euros de dépenses supplémentaires en France et la création de 7 000 nouveaux emplois. Parmi eux, le prochain film d’Albert Dupontel, de Luc Besson, de Christopher Nolan, mais aussi plusieurs productions indiennes ou chinoises…

Les données présentées par Ciclic laissent également entrevoir un recul des investissements de la part des Départements. La réforme territoriale pourrait-elle accroître le désengagement de cet échelon au profit des Régions ?

La culture reste une compétence partagée dans le cadre de la réforme territoriale qui a pour vocation de renforcer le rôle des pôles régionaux, et de donner aux grandes régions une dimension européenne. Ce qui est vital pour notre pays dans un contexte de compétition mondiale. Nous avons fait un Tour de France des régions, et nous sommes très sereins car les collectivités ont, pour la plupart, envie d’augmenter leurs fonds et d’investir davantage dans le cinéma et l’audiovisuel. La culture est l’un des facteurs principaux de développement, et beaucoup d’entre elles le savent. Et le CNC s’est engagé à suivre financièrement tous les fonds des collectivités qui souhaitent maintenir ou développer leurs engagements.