Panorama #2 - Eco-Responsabilité : Les collectivités territoriales, l’élément moteur d’une démarche vertueuse

 

Si la nécessité d’engager la transition écologique de l’ensemble de la filière cinématographique et audiovisuelle est devenue une évidence, le chemin pour y parvenir semble encore long.

L’homologation, le 9 mars dernier, de deux calculateurs carbone par le CNC, préalable indispensable à l’éco-conditionnalité des aides qui prendra un caractère obligatoire dès le 1e janvier 2024, marque une avancée décisive. Car ces outils vont dès à présent permettre de relier concrètement les différentes étapes de production des œuvres à leur impact en termes d’émission carbone. Le prochain stade consistera à actionner les leviers nécessaires pour réduire au maximum les dites émissions afin de construire une politique de transition écologiques ambitieuse pour l’ensemble du secteur. Si l’ensemble des collectivités territoriales s’y prépare, certaines ont une vraie longueur d’avance sur le sujet. Mais l’engagement des nombreux professionnels sensibles à la cause se trouve parfois confronté à des difficultés concrètes sur le terrain. Pourtant mettre en place de telles démarches s’avère payant à plus d’un titre. Au-delà de la seule cause environnementale, elles contribuent à la cohésion des équipes mais aussi à la mise en valeur de nombreux territoires.

COSTA BRAVA LIBAN - About production

Costa Brava, Liban de Mounia Akl, 2021 ©Gaijin, Cinema Defacto, Abbout Productions

La journée du 9 mars a marqué une étape décisive dans le long parcours de la transition écologique du secteur. C’est en effet à l’occasion de sa journée « Plan Action ! – Production : comment se préparer à l’éco-conditionnalité des aides ? » co-organisée avec l’Eurométropole de Strasbourg et la Région Grand-Est, et qui se déroulait au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, que le CNC a annoncé officiellement le nom des deux premiers outils de calcul de l’empreinte carbone homologués à ce jour. Cette première étape était évidemment indispensable avant la mise en place progressive de l’éco-conditionnalité des aides. En effet depuis le 31 mars 2023,  toutes les nouvelles demandes d’aide du CNC concernant les œuvres cinématographiques (long et court métrage) et les œuvres audiovisuelles (série et unitaire) appartenant au genre de la fiction et du documentaire, doivent faire l’objet du dépôt d’un bilan carbone prévisionnel au stade du devis de production, et d’un bilan carbone définitif au stade du coût final de production, afin de mesurer l’écart entre prévisionnel et définif. Les œuvres d’animation, immersives et les jeux vidéo seront concernées ultérieurement par cette obligation, mais ce 31 mars marque le début d’une phase destinée à permettre aux sociétés de production de se familiariser avec les outils disponibles. Car dès le 1e janvier 2024 une nouvelle étape sera franchie. A partir de cette date toutes les nouvelles demandes d’aide au CNC seront conditionnées à la remise de ce double bilan carbone.

Comme le précise le CNC, cette mesure d’éco-conditionnalité des aides ne s’inscrit pas encore dans une logique d’obligation de résultat. Seule la remise des bilans carbone est impérative. Car à ce stade, le manque de datas est considérable. Le but premier de cette mesure est donc de permettre au CNC de collecter des données chiffrées précises sur l’impact environnemental réel des activités de création des œuvres de fiction. Pour le moment une seule étude existe sur le sujet. Menée par Écoprod en 2020, elle estime que le secteur du cinéma et de l’audiovisuel français rejette chaque année 1,7 million de tonnes équivalent carbone. Un chiffre qui mérite d’être affiné. Par ailleurs si bien peu de professionnels sont aujourd’hui à même d’estimer, même au jugé, les émissions de CO2 des principaux postes d’une production, la prise en main de ces calculateurs leur permettra de les quantifier avant de pouvoir travailler concrètement à les réduire. Deux premiers outils ont donc été homologués à ce jour. Proposé par Ecoprod, Carbon’Clap se base essentiellement sur les données physiques, tandis que SeCO2, développé par Secoya part d’une approche monétaire qui passe notamment par l’import du devis ou du budget dans le calculateur.

Carbon’Clap proposé par Ecoprod

Existant depuis 2012, il est déjà très utilisé par le secteur, Ecoprod recensant plus de 3000 comptes d’utilisateurs actifs. Sa nouvelle version, co-construite avec les professionnels, est sortie le 9 mars, jour de son homologation par le CNC. Il a été testé sur des productions couvrant l’ensemble du champ, fiction et documentaire, mais aussi flux, afin de faire en sorte que l’outil soit adapté à la réalité du terrain. Carbon’Clap se base essentiellement sur les données physiques d’activité, comme le nombre de kilomètre effectués, l’électricité consommée, le poids des déchets, mais aussi sur quelques données financières issues du devis de production, comme le décor, les costumes ou les moyens techniques. A titre d’exemple, sur le budget costume, sera rentré le prix d’achat, de location ou de confection des costumes. Le calculateur se base alors sur les données de l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) qui fournissent des équivalents entre un euro dépensé sur du textile et l’impact carbone. Toute la chaîne est couverte, depuis la préparation jusqu’à la fin de la postproduction. Le calculateur est destiné à évoluer, le principe de base étant de laisser au secteur le temps de prendre en main un outil voué à devenir de plus en plus précis. Et des formations sont proposées, pour les entreprises et les intermittents, notamment pour apprendre à récolter les données. Carbon’Clap ne couvre pour le moment que la prise de vues réelles, mais Ecoprod travaille avec Anim France sur une déclinaison dédiée à l’animation. L’outil est entièrement gratuit mais les membres d’Ecoprod peuvent bénéficier depuis leur espace adhérent de quelques fonctionnalités supplémentaires, comme le fait de pouvoir consolider des données.

SeCO2 proposé par Secoya

Établi avec l’aide de producteurs, de directeurs de production et de sociétés, il repose sur l’idée de distinguer trois phases : estimation carbone en amont, pilotage carbone pendant le tournage et bilan carbone final. Son approche est également double, monétaire mais aussi physique. Les données, physiques comme financières, sont, elles aussi, reliées à des facteurs d’émission définis par l’ADEME. Dans la phase d’estimation, une fois le budget prévisionnel validé, ce dernier étant traité selon la matrice reconnue par le CNC, il est importé dans SeCO2, qui va interpréter les données d’activité concernées grâce à un algorithme développé par Secoya. Précision importante, certaines données confidentielles comme le montant des salaires et des droits ne seront pas extraites. Ne sont concernées que les données d’activité, le matériel, les déplacements etc.  Grâce à son algorithme, SeCO2 va remplir l’ensemble des données liées au devis, mais certaines cases devront être complétées manuellement. Ce sont les données physiques pour lesquelles devra être fait un prévisionnel des activités qui auront lieu pendant le projet. A ce niveau-là, une intelligence artificielle offrira une aide au remplissage, en fonction d’hypothèses établies selon les typologies de films. La synthèse exportée fournira le bilan carbone prévisionnel demandé par le CNC. En cours de tournage, l’outil permettra de travailler sur une « trajectoire bas-carbone » en proposant des pistes de réduction, des actions concrètes à mettre en place pour réduire l’impact carbone. Enfin pour le bilan final, les données réelles du budget réalisé seront de nouveau importées automatiquement, complétées des données physiques réelles. Il sera obtenu de la même manière que lors de la phase d’estimation.

 TRONA PINACLES

Trona Pinnacles de Mathilde Parquet, 2020 ©Girelle Production

Permettre une prise de conscience

Le fait que Carbon’Clap et SeCO2 reposent sur des approches différentes pose question. Comme l’a expliqué clairement Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC dans un entretien avec le Film Français paru le 10 mars 2023 « Ces deux outils sont bien distincts. Ils proposent de la donnée monétaire et de la donnée physique. Néanmoins, la partie pour laquelle ils ont été homologués est identique : le socle commun est harmonisé ». Si l’approche monétaire est plus simple mais moins précise, l’approche physique offre à l’inverse d’avantage de précisions mais se révèle plus complexe à manier et peut s’avérer chronophage au début de sa prise en main. Co-fondateur et directeur général de Secoya, Charles Gachet-Dieuzeide donne un exemple pour calculer l’empreinte carbone de la restauration d’une équipe de tournage selon les deux modes. « La donnée monétaire sera une dépense de 1600 € pour la cantine. En donnée physique on renseignera qu’on a servi 50 repas avec viande et 30 repas végétariens. Et selon les données de l’ADEME, un repas végétarien représente 1 kilo de CO2 contre 6 pour un repas carné ». Les premiers retours d’utilisateurs ayant testé les deux outils font ressortir « des résultats différents mais des proportions similaires » explique Fabrice Gilbert, directeur de production et membre du groupe de travail Coordination « Eco Production » au sein de l’ADP (Association des directeurs et directrices de production). « Tout ce qui a trait au transport, à la régie, à l’hébergement, au matériel et à la postproduction est sensiblement égal en termes de proportion dans les deux calculateurs, mais débouche sur des chiffrages différents au niveau du bilan carbone puisque sur l’un je suis arrivé à 90 tonnes et à 210 pour l’autre ».

 Les deux outils sont donc perfectibles et vont gagner en finesse au fur et à mesure des retours d’expérience. Mais leur rôle est d’ores et déjà crucial. « Quand on est passé du franc à l’euro, on a longtemps continué à convertir en franc car on avait du mal à estimer la valeur de l’euro. C’est un peu la même chose pour l’empreinte carbone. Pour le moment personne ne sait exactement à quoi correspond une tonne d’équivalent carbone. Or ces outils vont nous permettre d’en prendre conscience de façon très concrète » appuie Fabrice Gilbert. Reste que ces deux premiers calculateurs ainsi homologués pourraient être rejoints par d’autres, avec le risque de placer les productions face à des choix qui pourraient s’avérer complexes. Signe des temps, lors de la dernière Berlinale, Green Regio, le bras armé écologique de CineRegio, a fait une présentation des diverses ressources existantes en insistant fortement sur la nécessité du partage de l’information, mais aussi et surtout sur la nécessaire harmonisation des pratiques.

Corse et Ile-de-France collectivités pionnières avec leurs éco-bonus

La journée du 9 mars marque donc une étape décisive dans le long chemin de la transition écologique, cette impulsion donnée par le CNC ayant même des répercussions au-delà des frontières puisqu’un fond économique comme Wallimage en Belgique envisage déjà de s’inspirer du modèle français. Mais bien avant l’arrivée de cette éco-conditionnalité certaines collectivités territoriales ont déjà mis en place des systèmes de bonus. La Corse fait ainsi figure de pionnier en la matière, via Eco Migliurenza. Cet éco-bonus correspond à 15% du montant de l’aide à la production accordée au film. Il est versé aux sociétés de production « s’engageant dans ce dispositif, sous réserve du respect d’un certain nombre de préconisations environnementales adaptées au territoire prescrites par l’Office de l’environnement de la Corse et d’un engagement sur un nombre minimal des points figurant sur les fiches métier de la grille d’éco-conditionnalité formalisées par Ecoprod ». Il est obtenu après la remise d’un bilan chiffré, un contrôle étant également effectué à la fin du tournage. Par ailleurs, une application, mise en place cette année pour faciliter les demandes d’autorisation de tournages en ligne, va recenser les critères de protection de nombreux sites naturels.

De son côté le fonds de soutien Cinéma et audiovisuel de la Région Ile-de-France a créé, dès 2017, un Éco-bonus. Il se traduit par une bonification pour des dépenses spécifiques liées à des pratiques ou des technologies innovantes, dont fait partie l'éco-production, et peut monter jusque 100 000 €. Signe encourageant, 2022 a été marquée par une forte hausse puisque 10 Écobonus ont été attribués contre 3 en 2021. Et la région envisage de le renforcer, afin de le rendre encore plus incitatif. Film Paris Région, qui s’appelait à l’époque la Commission du Film d'Île de France, fait par ailleurs partie des membres fondateurs d’Ecoprod. Son dernier recrutement concerne une personne formée à la production durable qui est en train de développer un certain nombre de ressources, opérant notamment une cartographie des déchetteries, des branchements forains ou de divers prestataires locaux. L’idée est d’accompagner les communes afin qu’elles puissent identifier tous les leviers leur permettant d’aider les équipes de films ou de séries dans leur démarche éco-responsable. Elles seraient alors à même de leur fournir un véritable vadémécum. Un travail considérable mais indispensable, ne serait qu’en raison du nombre toujours croissant de films et séries accueillis sur le territoire francilien. Sur les 15 500 jours de tournage recensés au niveau national en 2022, près de 10 000, soit 65%, ont été localisés en Ile de France.

 Verdissement des dispositifs en cours chez Grand Est

Le temps des Grâces

Le Temps des grâces de Dominique Marchais, 2009 ©Capricci Films

Si l’éco-conditionnalité des aides n’est pas encore à l’ordre du jour au sein de la majorité des collectivités, Grand Est s’apprête à franchir le pas. Ce n’est pas un hasard si le CNC avait choisi de faire son annonce à Strasbourg. « La dynamique autour de la sobriété énergétique est engagée pour l’ensemble du secteur culturel de Grand Est, pour la simple et bonne raison que la société nous y assigne » précise Martine Lizola, présidente de la commission Culture et mémoire de la Région ou un dispositif de verdissement des dispositifs est en cours. Il ne sera pas plus contraignant que celui du CNC, se traduisant par une demande similaire, soit un pré-bilan carbone au moment du dépôt du dossier puis un bilan post-tournage. Il devrait être opérationnel d’ici le 15 juin. Par ailleurs les comités de lecture vont être renouvelés, priorité étant donnés à des candidats ayant une forte conscience éco-responsable.

En termes d’accueil de tournages, la collectivité s’appuie sur Plato, un réseau composé d’une dizaine agglomérations lesquelles s’engagent financièrement et logistiquement pour accompagner sur leur territoire les projets de long métrage, courts métrages, fiction TV et web séries. Des outils destinés à rendre les tournages plus écoresponsables ont ainsi été développés notamment sur le sujet épineux des raccordements électriques (l’idée étant de réduire au maximum le recours aux groupes électrogènes jugés trop polluants) et la gestion des déchets. « Ce sont souvent des solutions à deux vitesses car les collectivités n’ont pas toujours la même marge de manœuvre sur de tels dispositifs » explique Michel Woch chargé du bureau d'accueil des tournages de la Région Grand Est sur la partie alsacienne du territoire. « Pour donner un exemple Mulhouse prend en charge la gestion des déchets et celle des raccordements forains pour les productions. Mais certaines communes ont des protocoles de gestion des déchets pouvant être mis en place pour tout ce qui est événementiel, mais pour une durée de cinq jours maximum. Au-delà il faut être implanté avec une adresse fiscale locale. Dans ce cas c’est à la production de trouver ses propres solutions ». Les bureaux d’accueil ont par ailleurs listé un certain nombre de prestataires présents au sein de ces collectivités et capables d’offrir des services « verts » aux productions.

Diagnostic en cours pour les Pays de la Loire

La transition écologique fait partie des grandes priorités de l’exécutif régional des Pays de la Loire. Le règlement d’intervention visant à accompagner les producteurs au développement et à la production a été revu l’an dernier. Rendue obligatoire, une note d’intention éco-responsable permet à la région d’avoir une visibilité sur chaque projet quant à l’empreinte carbone de tous les postes. « Cela nous permet de voir les efforts mis en place, mais aussi de recenser les bonnes pratiques qui nous permettront d’orienter au mieux les productions vers ce qui se met en place chez nous » explique Alexandre Thebault, membre du conseil régional, délégué à la culture et au patrimoine. « Et nous sommes depuis plusieurs mois engagés dans une démarche de diagnostic sur trois volets principaux avec l’agence Secoya. L’identification des ressources susceptibles d’aider à réduire l’empreinte carbone, la formation et la communication autour de ces démarches afin de mettre en place un partage de bonnes pratiques ». L’idée de base est donc de trouver des solutions globales qui puissent être personnalisées. Solutions tournages Pays de la Loire, qui intègre la commission du film, a déjà commencé à constituer un réseau avec les communautés de communes, ces dernières constituant les portes d’entrée idéales sur les territoires. L’étape suivante consistera à former ces différents contacts à l’accueil de tournages afin qu’ils puissent servir de relais, en étant capables de proposer la meilleure solution possible. Tout ce travail suppose aussi une certaine transversalité. Certaines solutions éco-responsables, notamment en termes d’énergie et de gestion des déchets, mises en place pour l’édition 2023 de la course cycliste Pays de la Loire Tour, qui s’est déroulée en quatre étapes du 4 au 7 avril, seront ainsi désormais proposées aux productions.

En Occitanie les contraintes logistiques complexifient la donne

En tant qu’agence régionale Occitanie Films a mis en place des formations destinées aux techniciens régionaux en collaboration avec Ecoprod et travaille à communiquer sur les outils existant en les référençant. Est mise notamment en avant la ressourcerie ArtStock. Basée à Blajan, à proximité de Saint Gaudens, elle collecte et revalorise les matériaux de théâtre, du cinéma et de l’évènementiel, tout en proposant des ateliers de sensibilisation au développement durable auprès d'élèves de 6 à 12 ans. Mais la grande taille de la région, qui regroupe 13 départements, ne facilite pas le développement d’un réseau cohérent, fonctionnant collectivement. Et pour le moment aucune demande d’engagement complémentaire dans la sens d’une éco-conditionnalité n’a été formulée par l’exécutif régional. « Faire venir les films sur nos territoires reste difficile, c’est un travail quotidien. Et si l’on veut avoir une répartition un peu équitable, pour irriguer notamment des zones un peu reculées comme la Lozère ou l’Aveyron, contraindre les productions est assez compliqué » explique Marin Rosenstiehl d’Occitanie Films. « Quand on fait monter 100 personnes en montagne pour le tournage de Belle et Sébastien Nouvelle Génération par exemple, il y a certes un impact écologique, même en prenant des précautions. Mais on ne peut pas regrouper les tournages sur les grands bassins d’emploi que sont Toulouse et Montpellier car ce serait très discriminant pour les autres territoires et limiterait notre attractivité ». Par ailleurs certaines démarches vertueuses se heurtent à des contraintes logistiques. Si les studios de Vendargues, qui accueillent notamment le tournage de la quotidienne de France Télévisions Un si grand soleil et qui ont été récemment agrandis, se sont engagés dans des processus écoresponsables, les 200 personnes qui y travaillent utilisent chaque jour leur voiture personnelle pour s’y rendre. Une réflexion est donc en cours avec la Métropole de Montpellier pour envisager la mise en place d’un système de navettes.

Réflexion engagée en Région Sud

Vanille

Vanille de Guillaume Lorin, 2020 ©Folimage, Nadasdy Film

Bien avant les engagements du CNC plusieurs régisseurs locaux avaient déjà mis en place diverses actions, notamment en termes de mobilité et de covoiturage.  Dès 2019, le tournage de Stillwater de Tom McCarthy a fait appel au service d’un éco-manager. « Nous avons à présent en permanence sur notre territoire un ou plusieurs tournages qui emploient des personnes formées à l’éco-production » explique Yamina Lamara qui coordonne les activités de la commission régionale du film depuis le service cinéma et audiovisuel de la région. La collectivité a lancé en avril 2021 le deuxième acte de son plan climat baptisé « Gardons une COP d’avance », pour mener une politique environnementale destinée à s’appliquer à tous les secteurs. Ces derniers sont donc amenés à revoir l’ensemble de leurs critère, notamment de sélection des projets. « Nous sommes en train de réfléchir en interne afin de voir comment appliquer une éco-conditionnalité dans le cadre du fonds d’aide et inciter les productions à faire des efforts sensibles en termes de protection de l’environnement » précise Yamina Lamara. 45% des territoires de la Région sud sont en effet des espaces protégés, l’accès à certaines zones, comme celles des Calanques, étant même soumis à réservation préalable durant la période estivale. 

Et la commission du film travaille avec l’Association Régionale des Techniciens du Sud-est (ARTS) qui lui fait remonter toutes les difficultés rencontrées par ses adhérents sur le terrain afin que les services de la région puissent contacter les communes et les métropoles concernées pour les aider à trouver des solutions. Par ailleurs un annuaire des prestataires écoresponsables est en cours d’établissement, basé notamment sur les retours des productions. En termes d’attractivité la région peut s’appuyer sur deux grands studios de tournage, l’emblématique Victorine, peu à peu remise aux normes et Provence Studios. Installés à Martigues depuis 2008, ces derniers proposent sur plus de 22 hectares, 17 plateaux modulables, un backlot extérieur de plus de 20 000 m2, une piste d’essai et de cascades mais aussi des bureaux de production et des ateliers de construction. Recouvert de panneaux photovoltaïques, le site est totalement autonome en électricité. Des bassins de récupération d’eau de pluie ont été mis en place, en cas d’incendie, ou pour alimenter des bassins en vue de prises de vues sous-marines, afin de ne pas tirer sur la ressource d’eau potable. L’ensemble des mesures ainsi mises en place font de Provence Studios le seul studio de France labellisé Ecoprod à ce jour.

L'exemple doit venir du duo production-réalisation

Si le volontarisme des exécutifs régionaux est l’une des clés de la réussite de la transition écologique du secteur, encore faut-il que l’impulsion vienne des professionnels eux-mêmes. « Face aux changements d’habitude de travail que cette transition implique, on se retrouve face à plusieurs types de comportements » analyse le directeur de production Benjamin Lanlard, vice-président de l’ADP. « On rencontre évidemment des gens actifs et volontaires mais on peut se heurter aussi à certaines résistances et surtout à ce que j’appelle la passivité active. Tout cela dépend beaucoup du rapport personnel aux questions écologiques ». Par ailleurs cette implication doit être portée le plus en amont possible, dès la préparation voire au stade de l’écriture, par le duo production-réalisation afin de donner très tôt des repères au reste de l’équipe. « Si cette émulation n’existe pas dès le départ, cela ne peut pas fonctionner ou alors très difficilement » confirme Antoine Thérond, qui a été notamment directeur de production de La nuit du 12 de Dominik Moll. Sur ce film, produit par Haut et Court, le covoiturage a été encouragé et les fournisseurs les plus proches des lieux de tournage ont été systématiquement choisis, la cantine se fournissant également en circuit court. Et deux repas végétariens étaient proposés chaque semaine. Quant au chef décorateur Michel Barthélémy il a notamment eu recours à des feuilles en provenance de la Ressourcerie ses équipes travaillant avec des peintures naturelles et non toxiques. Et l’électricité a été fournie majoritairement par des batteries, le chef opérateur Patrick Ghiringhelli ayant choisi de réduire le nombre de sources lumineuses. « La nuit du 12 est une sorte de modèle car cette démarche écologique a semblé naturelle et évidente à l’ensemble des départements » résume Antoine Thérond avant d’ajouter « mais sur une production de taille plus importante cela aurait été sans doute plus compliqué à mettre en œuvre ».

Les équipes de films d’auteurs, souvent impliquées par passion, jouent relativement facilement le jeu de la démarche éco-responsable, mais la situation est plus que contrastée, sur le cinéma dit « commercial ». « Sur des budgets au-delà de 5 M€, tout le monde aura tendance à vouloir se protéger » explique un directeur de production. « Le réalisateur va vouloir se blinder auprès du producteur, le chef opérateur fera de même vis-à-vis du réalisateur et le chef électro vis-à-vis du chef opérateur ». Il en résulte des listes de matériel imposantes, dont peu d’éléments seront en fin de compte utilisés, et qui supposent de mobiliser une noria de camions pour les emmener sur le tournage. L’exemple impulsé d’en haut est donc capital. Lors du tournage en novembre dernier dans le Morvan de la première partie du nouveau film de Nicolas Vanier, C'est le monde à l'envers ! produit par Bonne Pioche, avec Yannick Noah, Michaël Youn et Valérie Bonneton, l’ensemble de l’équipe, comédiens compris, a fait le voyage en TER depuis Paris. Des selfies réalisés à l’occasion en témoignent pour la postérité. Et sur place les déplacements ont été effectués dans des voitures électriques rechargées grâce à des solutions mobiles créées par la société Drop'n Plug et notamment utilisées sur le Tour de France. L’exemple a fait tache d’huile puisque la communauté de communes ayant accueilli le tournage a lancé la construction de stations de recharge. Elles bénéficieront à la production pour la deuxième partie du tournage, prévue en mai, mais aussi à l’ensemble de la population. « Un tournage bien intégré dans le tissu social d’une région a donc servi de levier et va laisser du mieux après son départ » résume Mathieu Delahousse, co-fondateur et président de Secoya Eco Tournage.

Le rythme soutenu des tournages de séries peu compatible avec les bonnes pratiques

Engager une démarche écoresponsable sur les productions de séries s’avère par ailleurs plus compliqué en raison d’un travail effectué souvent à flux tendu. Créée, écrite et réalisée pour le compte de Canal+ par le collectif Les Parasites, composé de Guillaume Desjardins, Jérémy Bernard et Bastien Ughetto, la série L’effondrement fait figure d’exception, la production ayant demandé à chaque chef de poste de limiter au maximum l’empreinte carbone de son département. Une démarche, là aussi en totale cohérence avec le sujet même de la série, qui raconte l’effondrement progressif d’une société confrontée à des pénuries de tout type. Mais d’autres productions peuvent être nettement moins vertueuses. « Beaucoup de choses passent à la trappe sur les tournages de séries, notamment sur les grosses productions destinées aux plateformes. Et cela ne concerne pas seulement l’écologie » soupire un régisseur général. Temps de préparation parfois écourtés, notamment en raison d’un feu vert donné très tardivement par le diffuseur, repérages effectués dans la foulée et sur plusieurs sites en même temps, textes inaboutis et modifiés au dernier moment sont en effet souvent la norme, ce qui entraine par ailleurs des surcroîts de charge mentale pour les équipes. Parmi les obstacles à la mise en place de démarches écoresponsables figure aussi la disponibilité des comédiens, certaines têtes d’affiche ayant souvent des engagements simultanés sur plusieurs tournages, ce qui oblige à les faire voyager en avion, même sur de courts trajets nationaux, quand il ne s’agit pas de rallier Cannes en hélicoptère le temps d’une montée des marches. Et beaucoup de contrats négociés par les agents imposent transport et loge individuelle pour leurs protégés. Lors d’une série tournée en Grand Est, sur laquelle « la production avait mobilisé l’agence Secoya, avec une vraie volonté dédiée, les deux comédiens, dont l’hôtel était à 500 mètres du décor, sont venus dès le premier jour chacun en voiture car c’était prévu dans leur contrat. Et comme les loges prévues ne leur convenaient pas, le tournage ayant lieu durant l’hiver, ils sont restés dans leur véhicule, dont le moteur a dû tourner en permanence » raconte un professionnel. « Ce décalage a fait que l’équipe entière a rapidement décroché des démarches écoresponsables qui avaient été pourtant engagées en amont ».  A contrario, sur la série Week-end family, créée par Baptiste Filleul pour le compte de Disney+ et tournée à Paris certains comédiens « proposaient de rentrer chez eux en fin de journée en métro, en vélo ou même en trottinette » rapporte le régisseur Alexis Giraudeau. Mais Paris reste évidemment un cas à part, d’une part en raison de l’encadrement de plus en plus drastique des tournages, mais aussi de son maillage en termes de transports en commun.

Le supposé coût élevé de l'éco-responsabilité

TRONA PINACLES

Trona Pinnacles de Mathilde Parquet, 2020 ©Girelle Production

Souvent évoquée, la question du surcoût d’une telle démarche éco-responsable semble se poser de moins en moins. Certes l’intervention d’un référent en éco-production, (qui sera d’ailleurs un professionnel certifié en écoresponsabilité dans l’audiovisuel, le métier d’éco-référent ou d’éco-manager n’existant pas en tant quel tel et n’étant par ailleurs pas répertorié dans les conventions collectives) suppose un poste supplémentaire, ne serait-ce que pour assurer les remontées de données en vue des bilans carbone. Mais, comme le souligne Benjamin Lanlard « On se force à moins consommer, donc les achat sont plus raisonnés. Et on le fait d’autant plus volontiers que le coût des matières premières a explosé, notamment pour la déco ». Et d’autres surcoûts entrainés notamment par le traitement des déchets ou le recours à une cantine bio peuvent par exemple être compensé par des achats en vrac pour la régie. Quant à la location privilégiée à l’achat, notamment pour les costumes, elle est également source d’économies qui peuvent être parfois très substantielles. Et parfois un peu de bon sens suffit pour trouver des solutions permettant de faire baisser certains couts. « Sur le tournage de Week-end family, la cantine distribuait les restes de repas aux membres de l’équipes qui avaient pris l’habitude de venir avec des tupperwares ou des gamelles, ce qui a permis de réduire le traitement des déchets » rapporte Alexis Giraudeau. Sur ce point du surcoût, réel ou supposé, le développement de l’usage calculateurs carbone devrait permettre sous peu de disposer de données chiffrées qui permettront d’avoir une vision bien plus précise.

Quand certains types de financement jouent contre l'écologie

Dernier écueil et pas des moindres celui du financement. Certains d’entre eux pouvant s’avérer en fin de compte générateurs d’effets pervers. « Pour bénéficier d’un financement du programme MEDIA il faut une coproduction entre trois pays européens, ce qui impose des pourcentages de dépenses dans chacun d’entre eux » explique Fabrice Gilbert. « Cela se traduit par des obligations de tournages sur les territoires, des emplois de techniciens et de comédiens locaux ou des travaux de post-production. Je peux citer l’exemple d’un film, dont j’ai assuré uniquement la préparation. L’histoire se déroule entre la France et un pays nordique. Le financement s’est monté entre la France, le Luxembourg, l’Allemagne et le pays nordique en question. Ils ont dû tourner au Luxembourg, en Allemagne et dans le pays nordique, avec des comédiens et des techniciens des quatre pays. Cela a engendré des dizaines et des dizaines de voyages. Mais ils avaient un éco-manager et ont trié leurs déchets. Ce qui fait qu’ils ont pu avoir le label écoprod ». De la même façon, les ambitions portées notamment par France 2030 qui envisage de faire de la France le leader européen des tournages et de la production numérique, notamment par le biais de la construction ou la réhabilitation de plateaux éco-responsables n’entrent-elles pas en contradiction avec la nécessité de diminuer l’empreinte carbone du secteur, ce qui passe notamment par un encadrement étroit, voire une limitation, des déplacements des équipes ? La question peut paraître incongrue, au vu des enjeux en cours, mais elle mérite néanmoins d’être posée.

 

Conclusion

L’écoproduction peut être perçue au premier abord comme une contrainte supplémentaire, venue se rajouter aux règles de prévention contre le harcèlement ou encore aux protocoles sanitaires élaborés lors de la pandémie et dont certaines règles assouplies continuent d’être appliqués. « Quelqu’un qui aurait quitté le métier pendant trois ans et y reviendrait maintenant s’apercevrait que tout a été bouleversé et se rendrait compte qu’il est complètement déconnecté » résume Alexis Giraudeau, régisseur général. Heureusement la mise en place de l’éco-conditionnalité des aides va accélérer la nécessaire prise de conscience qui est en train de s’opérer. Un engagement qui se doit d’être général, englobant également les donneurs d’ordre que sont les diffuseurs, mais aussi les organismes financiers ou encore les agents de comédiens, qui seraient sérieusement avisés de revoir certaines clauses, notamment en termes de transport et d’hébergement de leurs protégés. L’expertise des collectivités territoriales, que ce soit au niveau des fonds d’aide ou des bureaux d’accueil des tournages, est à présent amenée à peser d’un poids absolument déterminant ne serait-ce qu’en raison de leur profonde connaissance des territoires, de leurs atouts et spécificités, mais aussi parfois de leurs nécessaires limites en termes de capacité d’accueil.

Patrice Carré

Un document d'analyse et d'observation réalisé avec le soutien de la Région Centre-Val de Loire, en partenariat avec le CNC.

Cet article a été écrit par Patrice Carré avec Pierre Dallois et l'aide de Pauline Martin.

Directeur de publication : Philippe Germain / Date de publication : 05 mai 2023