Trois questions à Thierry Méranger, enseignant et critique cinéma

Thierry Méranger est depuis 2004 critique et membre du comité de rédaction des Cahiers du Cinéma. Enseignant, il exerce en lycée dans le cadre d’une option cinéma à Dreux, tout en étant chargé de cours au sein du Master Scénario, réalisation production de Paris I. Fondateur du Festival Regards d’Ailleurs, il est depuis 2002 délégué général et artistique de cette manifestation, dont Ciclic est partenaire. Agrégé de Lettres Modernes et titulaire d’une maîtrise d’Histoire, il est l’auteur d'un essai intitulé Le Court Métrage et participe régulièrement à l’édition de DVD et de documentaires. Il est en outre rédacteur en chef des documents pédagogiques du dispositif Lycéens et apprentis au cinéma.

1. Vous êtes cinéphile, enseignant, critique de cinéma, qu'est-ce qui vous amène au Festival de Cannes ?

Chacune de mes casquettes (ou des pièces du puzzle cinéphilique qui constitue ma vie professionnelle) m'oriente vers Cannes tous les ans... De toute évidence, le fait de faire partie du comité de rédaction des Cahiers du cinéma rend cette visite annuelle presque indispensable. Quoi qu'on pense des sélections, le festival de Cannes (il faudrait dire les festivals de Cannes, d'ailleurs) propose un éventail considérable de films qui permet bel et bien de marquer les tendances, de rencontrer des professionnels, réaliser des entretiens et de découvrir des films que je n'irais peut-être pas voir en salle...

Je fais aussi partie d'un jury (Cannes Soundtrack) qui décerne un prix aux musiques de films. Il s'agit quoi qu'il en soit d'anticiper les sorties à venir et de repérer les films qu'il vaudra le coup de revoir posément et sans trop de fatigue à l'occasion de leur sortie en salle. J'ajouterai que voir des films en festival me permet de contourner la difficulté qui consiste à essayer de voir des films avant leur sortie quand on n'est pas Parisien (et qu'on ne peut pas profiter des séances de presse quotidiennes qui ont lieu dans la capitale).

Cannes m'est aussi devenu indispensable à cause de mes activités de programmation. Responsable artistique du festival Regards d'ailleurs de Dreux et (depuis peu) de Cap sur le Monde à Blois, je vais aussi, dans une certaine mesure, "faire mon marché" à Cannes où je découvre des films que je pourrai à mon tour montrer au public (comme Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore l'an dernier à la Semaine de la critique ou l'année précédente Spartacus et Cassandra de Ioanis Nuguet à l'Acid). C'est aussi à Cannes que les contacts se prennent et que des liens se nouent, qui parfois donnent lieu à une invitation. Rolf de Heer, Lodge Kerrigan, Christoph Hochhäusler, qui sont venus à Dreux, ont été (entre beaucoup d'autres) des rencontres cannoises.

2. Qu'est ce que cette participation vous apporte dans votre pratique de l'enseignement du cinéma ?

En tant qu'enseignant, Cannes permet au cinéphile que je suis de ne pas oublier que le cinéma ne doit pas (en tout cas, pas seulement) se consommer en conserve. Je m'explique : s'il est essentiel de montrer à nos élèves des "classiques" et des vaches sacrées, il importe de les convaincre que le cinéma est un art qui se fait avec des artistes vivants et de leur faire connaître les cinéastes d'aujourd'hui (et certains des plus passionnants). Comment peut-on inciter des élèves ou étudiants à voir des films sans les avoir vus ? J'ai découvert à Cannes des films essentiels à mes yeux comme (en vrac) The Host, Le quattro volte, Jauja, The Brown Bunny, Mulholland Drive ou La Fille du 14 juillet qui nourrissent à la fois ma cinéphilie et les cours que je donne, que ce soit en option cinéma au lycée ou en master 2 à l'université.

J'ajouterai que mon implication dans les dispositifs d'éducation à l'image fait du séjour cannois une mission de repérage pédagogique fort intéressante. Ce qui est très paradoxal, c'est que Cannes, en comparaison d'autres festivals n'est a priori absolument pas fait pour les pédagogues et encore moins pour leurs élèves... même s'il y a toujours des choses à glâner !

3. Que préférez-vous au Festival de Cannes ?

Je ne sais pas trop si Cannes est vraiment aimable. La vie durant le festival y est très artificielle (et très chère), les files d'attente fort longues, les contrôles incessants, l'attitude de pas mal de festivaliers très snob et particulièrement insupportable. Et se poser devant 5 films par jour n'est en aucun cas un idéal de spectateur... Ce qui est certain, c'est que Cannes est très addictif et qu'il est très difficile de se dire qu'on va pouvoir s'en passer. Au delà des films phares, s'il fallait retenir le plus positif de mon expérience cannoise (j'ai fait mon premier Cannes, en tant que spectateur lambda, en mai 2001 avec l'accréditation la plus bas de gamme qui soit), ce serait à mon avis l'opportunité de faire des rencontres et, évidemment, de retrouver des amis chers entre les séances.

Pour finir, je dirais que si magie cannoise il y a, elle consiste, en dépit des marchands du temple (et même grâce à eux ; en l'occurrence, s'il n'y avait pas de marchands il n'y aurait pas de temple) en une forme de sacralisation de la séance de cinéma, à mon sens plutôt intéressante par les temps qui courent. J'avoue avoir toujours un petit pincement, même si je joue au blasé, lorsqu'avant un film au Théâtre Lumière j'entends le fameux Aquarium (totalement infredonnable, pourtant) de Saint-Saens. Et il en va de même pour la musique de Cyril Moisson à la Quinzaine... Il est tout de même fascinant de penser que pour des centaines de spectateurs, dont moi, réussir à entrer à telle ou telle séance (y compris pour les sections dites parallèles) est, ne serait-ce que pour quelques minutes, la chose la plus importante au monde...