Séance 2 - De la science à l’art

Comme le cinéma scientifique, le cinéma expérimental cherche à rendre compte du réel mais différemment de ce que nos yeux voient. Et il suffit de poser un regard poétique sur les films scientifiques pour en faire des films expérimentaux.

La caméra cinématographique est le résultat d'inventions scientifiques relevant de la mécanique et de l'optique. C'est une machine à explorer le temps, le mouvement et l'espace. Et dès les débuts du cinéma, les réalisateurs ont eu à cœur d'utiliser cet outil pour comprendre, étudier, découvrir le monde. Mais la fonction du cinéma serait-elle de montrer le réel tel qu'il est ? Il semblerait qu'il lui importe plutôt de l'interpréter et de le creuser pour nous le montrer autrement. La cinéaste française Germaine Dulac percevait dès 1925 que « le cinéma est un œil grand ouvert sur la vie, œil plus puissant que le nôtre et qui voit ce que nous ne voyons pas ». Le grand œil ouvert et mécanique aura ainsi comme fonction de nous montrer une trace du réel que l'on ne peut percevoir normalement, comme si, par le fait du cinéma, le réel avait changé de peau.

Une des transformations que le cinéma peut faire subir au réel est liée à la vitesse. La restitution d'une image cinématographique est pensée sur le principe d'une vitesse synchronisée entre le défilement de l'image enregistrée par la caméra et celui de l'image projetée grâce au projecteur. Mais en désynchronisant ses deux vitesses de défilement, on obtient des images accélérées ou ralenties.
Ainsi, le ralenti allie étroitement des questions de durée et de mouvement. Le terme allemand, Zeitlupe, rend compte parfaitement de sa puissance : Zeit = temps ; lupe = loupe. Le ralenti correspond donc au grossissement du temps.
Illustration avec les films scientifiques de Lucien Bull.

Films scientifiques de Lucien Bull en prise de vues accélérée

Ces images ont été réalisées entre 1904 et 1907 par Lucien Bull (qui fut assistant d'Étienne-Jules Marey). Elles montrent des exemples de changements de vitesses à travers l'utilisation de prises de vues ultra-rapides (images tournées à 1400 i/s et projetées à environ 20 i/s), ce qui entraîne un effet de ralenti à la projection (les mouvements sont du coup environ 70 fois plus lents qu'en réaliste !)
Ces bandes, d'une beauté plastique confondante, invitent à la contemplation d'un monde inaccessible à l'œil nu : bulles de savon qui éclatent (à retardement !), insectes dont on distingue les moindres battements d'ailes...
Le ralenti, comme possibilité d'analyse et de création, révèle un inconnu à la fois visuel (beauté plastique de ces images), psychique (transfert de notre notion de l'écoulement) et physique (mouvements et actions autrement lisibles). Le cinéaste Jean Epstein* dans son livre L'Intelligence d'une machine affirme en 1946 que « le cinéma nous introduit, et assez brutalement, dans l'irréalité de l'espace-temps** ». De cette irréalité découle une forme d'abstraction du réel.

* Voir dans la frise Histoire du cinéma expérimental l'entrée consacrée à ce cinéaste et théoricien du cinéma.
** Jean Epstein L'Intelligence d'une machine in Écrits sur le cinéma, Tome 1, ed. Seghers/Cinémaclub, Paris, 1974, p. 286 (réédité aux Presses du Réel en 2014). Ce texte est disponible dans son entier ici.

Discussion

Avant de montrer les films de la bulle de savon, on peut s'amuser à demander aux élèves à quel moment une bulle de savon éclate quand on lui tire une balle de revolver dessus.
Après avoir montré les films, on peut lancer la discussion :
- Êtes-vous surpris par ces images ?
- Ces images vous paraissent-elles réalistes ?
On a du mal à y croire. C'est l'occasion de découvrir que le le vraisemblable (la vérité) n'est pas toujours réaliste... !
D'un point de vue purement scientifique, on constate grâce à ces films que la bulle de savon éclate parfois au moment où un petit projectile la touche, et d'autres fois lorsque que le projectile en ressort après l'avoir transpercée. Cela dépend du poids du projectile...
- Trouvez-vous ces images belles ? Y a-t-il un plaisir purement contemplatif à les regarder ?
Le cinéma expérimental est l'occasion de poser un regard différent sur les images. Les enfants sont sans doute habitués au cinéma narratif, dont le plaisir vient d'abord de la curiosité de connaître la suite de l'histoire. Ici, ils découvriront peut-être qu'on peut regarder des images de cinéma comme on regarde une peinture.

Atelier : jouer avec la vitesse

Ralentir
. Les logiciels de montage gratuits comme Windows Movie Maker permettent de ralentir des images filmées. On filmera donc une courte action dont on pense que le ralenti révélera des secrets physiques et des charmes esthétiques : jouer à la marelle, tirer un pénalty, la course d'un chien, le vol d'une mouche, la chute d'une goutte d'eau sortant d'un robinet...
Une fois les images importées dans l'ordinateur, on les ralentira dans un logiciel de montage tout en les projetant pour que tout le monde en profite.
. Matériel nécessaire :
- un appareil de prise de vues (appareil photo, caméra ou téléphone) muni d'un câble permettant de charger les films dans l'ordinateur
- un ordinateur muni d'un logiciel de montage de base (pour les deux changements de vitesse), ou du logiciel Gif animator (pour l'accéléré)
- un vidéoprojecteur relié à l'ordinateur

Accélérer
. Certains films scientifiques, tout aussi fascinant que les films de Lucien Bull, accélèrent des phénomènes lents afin de rendre perceptible leur évolution : mouvements d'une tige de haricot, mue d'une araignée, vieillissement d'un visage...
Ce type de film est réalisable avec peu de matériel :
- quelques graines ou n'importe quoi d'autre qui se transforme dans le temps ;
- un appareil photo (de préférence muni d'un pied ou d'un système pour le fixer)
On prend des photos à intervalles réguliers, qu'on importe dans le logiciel Gif Animator pour les mettre bout à bout et les lire en continu.


Auteur : Sébastien Ronceray. Ciclic, 2015.