— Publié le 10/11/2023

La mélancolie du monde sauvage

Katrina Kalda

Éditions Gallimard, 2021, 280 pages, 20€ 

« J’ai appris à connaître toutes les pierres de la rivière. J’ai compris que ces pierres n’ont pas besoin d’apprendre à me connaître ; que la nature n’a pas besoin de moi. Que moi seule ai besoin d’elle. »

Rien ne destinait Sabrina à une carrière artistique. Élevée par une mère fragile dans un milieu modeste, elle a peu de perspectives d’avenir. Jusqu’au jour où, lors de la visite scolaire du musée Rodin, elle découvre sa vocation : elle consacrera sa vie à l’art. Dès lors, Sabrina se voue totalement à ce projet. La précarité étudiante est vite compensée par les amitiés fortes et la richesse des recherches artistiques. Mais les soubresauts de sa vie amoureuse et les bouleversements d’un monde dont l’effondrement semble inéluctable ne tardent pas à infléchir sa trajectoire.
À travers le destin d’une artiste contemporaine, Katrina Kalda interroge la place de l’art dans un univers en crise. 

Extrait

Ça n'a été qu'un ronronnement à peine audible, absorbé depuis par le virage de la cascade? Une oreille non avertie le confondrait avec le bruissement du vent dans les hêtres. Pas la mienne. Depuis le temps que je vis seule ici, je sais discerner les sons inhabituels. Qui peut encore se permettre le luxe de rouler sur cette route de montagne peu accessible, à vingt kilomètres de la ville la plus proche ? Il ne serait pas raisonnable d'utiliser du carburant et des quotas de CO₂ juste pour le plaisir d'emprunter cette route buccolique. Sauf si on se cache. Saut si on fuit. Sauf si on a une vengeance à accomplir. Sauf si on est des forces de police ou deux ceux qu'elles chassent.

Ce qu'en dit l'autrice

J'ai commencé l'écriture de ce roman alors que, nourrie de lectures sur l'effondrement, l'érosion de la biodiversité, le réchauffement climatique, je me sentais écrasée par le constat de l'impact de l'humain sur le vivant et mon sentiment d'impuissance face à cette situation. J'avais beau tenter au quotidien de minimiser mon impact sur la planète et de m'engager en parallèle dans des actions collectives, tout cela me semblait peser bien peu...  J'avais besoin de trouver des sources d'inspiration pour d'autres façons de vivre en lien avec la terre.

Mon hamac-moustiquaire dans le sac à dos, je suis donc partie sur les chemins des Alpes du Sud pour découvrir le Refuge d'art d'Andy Goldsworthy. Les vertus de la solitude et de la marche, la découverte de ces havres de beauté au milieu d'une nature préservée m'ont aidée à retrouver l'élan d'écrire, au-delà du sentiment de l'inanité (de l'inutilité ?) de l'art face à la crise écologique.
Le cheminement s'est poursuivi auprès de femmes engagées dans des modes de vie cherchant à avoir un impact positif sur leur environnement - parmi lesquelles les constructrices de kerterres, Evelyne Adam et toutes celles qui l'entourent, et qui m'ont permis de mettre la main à la pâte (ou plutôt dans la chaux !)... Je retrouve dans leur façon d'habiter la Terre la notion d'"aggradation" défendue par le mouvement de la désobéissance fertile, un positionnement dans lequel l'humain participe à fertiliser les écosystèmes plutôt que de les exploiter.
Ce tour de piste serait incomplet sans l'évocation des artistes qui ont croisé mon chemin et qui étaient engagés dans la même recherche de cohérence entre le geste artistique et le lien au vivant, Annelise Dufourneaud et ses broderies, Clément Darrasse et ses trichromies, Gary et ses bronzes dissimulés dans les jardins des Alpes du Sud, Lilas Quétard et sa structure en bois mille fois remodelée...
La mélancolie du monde sauvage est un roman né de ces rencontres et de la recherche d'une autre manière d'être au monde, où l'humain tente d'avoir un impact positif sur la Terre et les autres êtres vivants.
Il va de soi que tous les personnages du roman sont des êtres de fiction et que leur vie de papier ne saurait être assimilée à celle, bien plus riche, complexe, et surtout très différente, de leurs inspirateurs/inspiratrices !
Ressources

Sur le livre

À lire

À voir
Katrina Kalda dans La Grande Librairie, Juillet 2021
Interview de Katrina Kalda par L'Estive Scène Nationale, Novembre 2021

Sur l'autrice

Katrina Kalda est née en 1980 en Estonie. Ses premières lectures ont eu lieu en estonien, sa langue natale, au hasard des livres trouvés dans la bibliothèque familiale ou celle de l’école : des romans soviétiques destinés à édifier la jeunesse sur la vie et les exploits des jeunes pionniers à la littérature jeunesse scandinave, traduite et largement diffusée dans l’Estonie des années 1980.
Elle a été particulièrement marquée par les écrits d’Astrid Lindgren (Fifi Brindacier, Ronia fille de brigands, Les frères cœur de lion), Selma Lagerlöf (Le voyage de Nils Holgersson), ou encore Tove Jansson (Les mémoires de papa Muumin), univers qui mettent en scène des enfants intrépides et souvent solitaires, dans une nature sauvage, à la fois dangereuse et accueillante. Ce sont sans doute ces histoires qui lui ont donné envie d’écrire et d’inventer à son tour des récits.

Arrivée en France à l’âge de 10 ans, peu après la chute du Mur de Berlin, elle a commencé par lire et écrire en français (sans connaître l’orthographe !) avant de parler. Puis elle a englouti à peu près tout ce qui passait à portée de sa main, romans, poésie, littérature classique ou "de divertissement", française ou étrangère... Le français a ainsi été pour elle dès son apprentissage une langue liée aux histoires et à la littérature autant qu’à la communication.

Ses textes explorent le rapport entre Histoire collective et histoire intime, et questionnent le sens de la création artistique dans le contexte de la crise écologique.
Les personnages de ses romans incarnent la recherche d'une juste place de l'humain dans le monde, la quête de la beauté et de la joie, malgré tout.


Depuis 2010, elle a publié quatre romans aux éditions Gallimard, ainsi que des nouvelles et essais dans des revues ou recueils collectifs chez d'autres éditeurs. 
Elle habite en Touraine depuis 2006.