La Mécanique des corps
A propos de La Mécanique des corps, par Charlotte Garson pour le Cinéma du Réel 2016 :
Dans un centre de rééducation fonctionnelle, des prothèses mécaniques façonnées sur mesure aident des hommes et des femmes amputés à se redéfinir en se réappropriant leur corps. Matthieu Chatellier garde trace dans son bref prologue de ce qui lui a fait décider d'explorer ce lieu : le rêve d'un humain bionique, être composite dont l'utopie a nourri toute une littérature de science-fiction. Mais si le prologue s'intéresse à la fabrication des pièces et à leur mécanique de précision, c'est l'enjeu humain et personnel que nous découvrons immédiatement après le générique. Comment repartir de zéro (la polysémie du terme « appareillage » fait penser à un long voyage, dûment préparé). Comment penser sa façon de marcher, ou de saisir un objet, gestes quasiment automatiques quand le corps était entier ? Avec l'aide des prothésistes et des médecins, c'est en fait à une réinvention de leur corps que les patients sont conviés, qu'ils acceptent leur hybridité avec humour (une patiente se compare à Cendrillon essayant la pantoufle) ou circonspection (le vieux marin plongé dans l'horizon à sa fenêtre, jumelles en main). Attentif également aux « Geppetto » qui rabotent et réajustent au millimètre près, Matthieu Chatellier observe avec pudeur et délicatesse leur travail commun. www.cinemadureel.org
La critique de Charlotte Garson (également journaliste et membre du jury international au Cinéma du Réel) pose d'emblée plusieurs pistes de réflexion sur la construction du film et la démarche du réalisateur.
Le lieu :
Un centre de rééducation fonctionnelle : un presque quasi huit clos où l'on réapprend à être à son nouveau corps. Un lieu où le temps participe au travail de réappropriation du corps. Le temps est très présent dans le film : on peaufine les prothèses, on marche et marche encore pour trouver la posture dans ce lieu, à l'abri des regards extérieurs. Un lieu compartimenté : salles de travail, gymnase, couloirs avec de forts contrastes de lumière. Le cadre est alors très proche ou bien plus éloigné des corps pour suivre les déambulations.
Les personnages :
Le corps médical, les médecins, les "artisans" / techniciens qui fabriquent les prothèses, les patients et leur famille parfois aussi qui épaule, questionne la "métamorphose" du corps. Tous ensemble travaillent dans l'écoute et au plus près de l'intime, à reconstruire un équilibre, une autonomie.
Juste à côté il y a le filmeur, Matthieu Chatellier, qui est au plus près de ces corps, en toute pudeur. "Je sens que l'ingénierie des prothèses est le prolongement d'une intelligence humaine ancestrale, des hommes bricolant des outils pour compenser le dénuement et la fragilité angoissante de leur condition, de leur inadaptation physique au monde qui les entoure." Matthieu Chatellier, extrait de la note d'intention.
Les corps :
Un corps hybride coexiste au corps fantôme ; parce que la sensation du membre amputé perdure malgré la prothèse. Le mouvement inhérent au membre valide n'est plus et la souplesse, l'élasticité, tout ce qui fait la mécanique d'un corps ets l'objet d'un travail en commun que le réalisateur filme, au fil du temps, pendant plusieurs semaines.
Jeune adolescent, jeune femme de 30 ans passés, homme plus agé : Matthieu Chatellier les filme tous à des moments différents de leur convalescence. Quant alors, parfois, la magie du corps métamorphosé fait disparaître, dans les yeux de celui qui regarde, toute trace de handicap.