Planet Z - Mise en scène

Mouvements d’une planète

"La terre est bleue comme une orange" écrivait Paul Eluard dans L’amour la poésie (Gallimard, 1929). La planète en forme d’orange de Momoko Seto revêt différentes couleurs : couverte de végétaux elle verdit, puis blanchit sous l’effet des moisissures avant de retrouver sa couleur originelle… Comment la réalisatrice construit-elle le récit de cette constante mutation ? Et comment met-elle en avant l’idée d’un éternel recommencement de la vie ?



Récit cyclique et effets miroir

À l’image du mouvement circulaire qui anime l’orange du premier plan, le récit de Planet Z forme plusieurs boucles. Des images similaires reviennent dans un jeu de miroir donnant l’impression d’un temps cyclique où une même succession d’événements est susceptible de se répéter sans fin. Le film propose ainsi ce que Gilles Deleuze appelait des "images modifiées", des plans qui se reflètent pour mieux marquer la progression du récit [1].

La première "image-modifiée" est celle de la planète tournant dans l’univers. Le retour, à deux reprises, vers cette image originelle permet d’abord de mettre en avant la différence entre une situation initiale (plan 1 : la planète présente une surface orange craquelée et désertique), un premier rebondissement (plan 16 : les végétaux recouvrent la planète) et une situation de crise (plan 33 : la planète est maintenant couverte de moisissures).

Par ailleurs, il est important de remarquer que, dans ces trois occurrences, la planète est toujours filmée de façon différente. Tout d’abord, elle se rapproche lentement, jusqu’à remplir le cadre et entraîne à sa suite une avancée précautionneuse de la caméra. Dans sa deuxième apparition, elle est plus éloignée mais parfaitement centrée dans l’image donnant ainsi l’impression d’un équilibre idéal. Dans sa troisième occurrence, elle s’éloigne de la caméra jusqu’à disparaître dans l’immensité de la galaxie, semblant proposer une première fin au film. À noter qu’au mouvement d’éloignement de la planète pourrie s’oppose un mouvement d’approche de la galaxie, ce qui accentue cet effet d’absorption, de disparition.

Au contraire, le deuxième effet-miroir utilisé dans le film vient présenter deux images parfaitement identiques. L’histoire se termine comme elle a commencé, le cycle de la vie pouvant se répéter à l’infini : dans le désert l’eau surgira à nouveau, exactement comme au début du film. Seule différence : le jaillissement de l’eau est d’abord montré alors que dans le dernier plan il est seulement suggéré par le son.

Ainsi le film cyclique de Momoko Seto est moins symétrique qu’il n’y paraît : il joue aussi sur les transformations, les déformations, les changements de dimensions. Le film invente un espace mouvant, qui se tord et se distord, se déplie à l’infini. Dans l’univers inventé par Momoko Seto, tout est dans tout : la galaxie dans l’atome, la mort dans la vie, et inversement puisque la vie renaît de ses cendres, ou plutôt de ses moisissures.

Mouvements perpétuels et nappes sonores

Certains plans du film fonctionnent quant à eux comme des miroirs déformants : effets grossissants, disproportions et distorsions sont au centre du dispositif filmique (voir rubrique « Fragment »). Les images se dédoublent, se déforment mais peuvent aussi se recouvrir, s’absorber les unes les autres. Le film est ainsi constitué de multiples strates. La surface vierge et aride des premiers plans se couvre d’eau, l’eau de plantes, les plantes de champignons, tandis que la galaxie semble aspirer cette étrange planète. Ce qui intéresse avant tout la réalisatrice, ce sont les transformations du monde naturel, ce monde qui nous entoure et que l’on pense trop souvent immobile ou inanimé. Afin de capter les mille qualités des mouvements de la vie (gravitation planétaire, avancée scintillante de l’eau, frémissements des jeunes pousses, tâtonnements des moisissures) la cinéaste construit son film comme une variation infinie sur le mouvement, un ballet cinématographique alternant mouvements circulaires ou rectilignes, approches souples ou heurtées, hésitations, accélérations comme pour essayer de capter la fragile destinée du monde vivant. À ces mouvements continus, la bande son répond par l’utilisation constante de nappes sonores en accord avec les éléments filmés : rumeur stellaire, grondements sourds pour l’avancée inexorable des moisissures, notes aigues et persistantes pour la volatilité des spores.

Momoko Seto a donc inventé un dispositif cinématographique à l’image de sa planète, à son écoute.

Amanda Robles, 2011


[1] Gilles Deleuze, L’image-mouvement. Cinéma 1, Les éditions de Minuit, Paris, 1983. Le concept  d’"image modifiée" inventé par Deleuze désigne un procédé utilisé par John Ford dans L’homme qui tua Liberty Valance et La Prisonnière du désert dans lesquels une image est montrée deux fois, mais la seconde fois, modifiée ou déformée de manière à faire sentir les différences entre situation initiale et finale.