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Sciences et fictions

Ayant pratiqué plusieurs formes d’art, Momoko Seto puise son inspiration dans différents domaines : les photographies de Karl Blossfeldt, les films scientifiques d’Étienne-Jules Marey et de Jean Painlevé ou les vidéos de l’artiste américain Reynold Reynolds. Dans ces œuvres disparates une même attention est portée au monde vivant. Expériences scientifiques de la fin du XIXe siècle et installations vidéos contemporaines prennent chacune à leur façon le "parti des choses" selon les termes du poète Francis Ponge [1]. Les appareils photographiques et cinématographiques permettent de rendre visible ce qui n’était pas perceptible à l’œil nu. En étirant le temps (effets d’accéléré et de ralenti) et l’espace (utilisation d’optiques macros), scientifiques et artistes auscultent le vivant : formes, mouvements et comportements du monde animal et végétal peuvent alors devenir matière à fiction ou pure contemplation esthétique.

L’imitation de la nature : Karl Blossfeldt

Sculpteur et graveur allemand, Karl Blossfeldt (1865-1932) utilise la photographie (ci-contre Capillaires) pour mettre en valeur les formes des végétaux et inspirer la création de motifs ornementaux. Son travail s’inscrit dans le mouvement Jugendstil, équivalent allemand de l’Art Nouveau. Bien qu’on l’ait aussi souvent rapproché du mouvement artistique de la Nouvelle Objectivité, Blossfeldt a pourtant toujours affirmé qu’il ne considérait pas ses photographies comme des œuvres d’art en elles-mêmes mais comme des supports à la création d’autres œuvres, objets, mobiliers, bâtiments…

Les mouvements du vivant : Étienne-Jules Marey

Physiologiste français, pionnier de la photographie et du cinématographe, Étienne-Jules Marey (1830-1904) s’intéresse particulièrement aux mouvements des êtres vivants. La circulation sanguine, les mouvements du cœur, la respiration font l’objet de ses premières recherches tandis que ses études sur le vol des insectes et des oiseaux inspirent la construction des premiers aéroplanes.

Après sa rencontre avec l’américain Muybridge, en 1881, il décide d’utiliser la photographie pour ses recherches et met au point, l’année suivante, un fusil photographique qui lui permet de décomposer en douze clichés les mouvements des animaux et des êtres humains. Une de ses recherches les plus célèbres concerne le galop du cheval : par ses photographies il donne la preuve au monde entier que, pendant quelques fractions de seconde, le cheval n’a aucune patte sur le sol lorsqu’il court.

Son recueil d’images Études de physiologie artistique faite au moyen de la chronophotographie publié en 1893 va par ailleurs inspirer le mouvement surréaliste et futuriste : le Nu dans l’escalier n° 2 de Marcel Duchamp (1911) en reste l’exemple le plus connu.

Chorégraphies animales : Jean Painlevé

Après des études en biologie, Jean Painlevé se rapproche du mouvement surréaliste en même temps qu’il commence à filmer le monde marin. Sa passion l’amène à transformer sa baignoire en aquarium afin de mieux pouvoir filmer crabes, crevettes et oursins ! Jugé peu sérieux par les scientifiques qui considèrent son approche trop poétique, il est par contre encensé par les surréalistes. De son film Caprelles et pantopodes (1930), Fernand Léger dira que c’est le plus beau ballet qu’il ait jamais vu !

Cependant Painlevé participe à l’évolution de la connaissance du monde marin en inventant plusieurs procédés novateurs : pour L’œuf d’Epinoche (1925) il invente par exemple une lentille optique pouvant grossir dix mille fois un objet, et un objectif périscopique permettant des clichés sous-marins.

Le grand combat de Jean Painlevé sera la vulgarisation scientifique grâce au cinématographe : il réalise de nombreux films pédagogiques sur le comportement animal et crée en 1930 l’Institut de cinéma scientifique qui soutient la création et la diffusion du film scientifique.

Une inquiétante étrangeté : Reynold Reynolds

Artiste contemporain américain, Reynold Reynolds est né en 1966. Il étudie d’abord la physique et la philosophie avant de suivre une formation artistique. Auteur de vidéos expérimentales mais aussi de publicités, il fait du corps humain un objet d’étude scientifique : il en dissèque les mouvements, les comportements, utilisant souvent la technique du "time lapse". Dans son œuvre Secret Life il filme une jeune femme dans une pièce envahie par les plantes : les intervalles de la prise de vues viennent révéler le mouvement invisible des végétaux et transforment le corps humain en une sorte de machine au rythme saccadé. Reynold Reynolds envisage son travail comme une série d’expériences et aime se considérer comme un vidéaste scientifique. (source Gregorio Belinchon, El hijo esquivo de Bill Viola , El Pais, Madrid – 26/11/2010)

Amanda Robles, 2011

Crédits images : 
Karl Blossfeldt, Capillaires
Etienne-Jules Marey, Vol d'un pélican
Jean Painlevé, Transition de phase dans les cristaux liquides (1978) 


[1] Dans Le Parti pris des choses, Francis Ponge a d’ailleurs consacré un texte à l’orange dont il loue les vertus photogéniques de l’épiderme "juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière…"