Panorama #1 - Coproduction internationale, une implication croissante des collectivités territoriales

L’importance croissante des collectivités territoriales dans l’accompagnement des producteurs et des auteurs se manifeste dans un domaine où ne les attendait pas forcément au départ, en l’occurrence celui des coproductions internationales. 

Le fait est que la structuration des filières régionales passe de plus en plus par des partenariats avec des homologues internationaux, la nécessité de diversifier les sources de financement faisant loi pour la production indépendante. L’occasion aussi pour des producteurs régionaux de se lancer dans des coproductions internationales sans devoir attendre le feu vert de l’aide aux Cinémas du Monde du CNC, devenue de facto toujours plus plus sélective en raison de son rayonnement dans le monde entier, et ce en dépit de la création du troisième collège pour les demandes d’aides après réalisation.

EVOLUTION DU NOMBRE DE LONGS METRAGES SOUTENUS DEPUIS 10 ANS (2011-2021)

Evolution du nombre de projets de long-métrages soutenus

Bien avant la fusion avec ses proches voisins, l’Aquitaine avait été la première région à mettre en place dès 2013 un dispositif ouvert à la coproduction internationale. Il donnait la possibilité à un producteur régional de s’inscrire dans un tel partenariat sous couvert de respecter deux critères : être implanté dans la région et générer des dépenses régionales, quelles qu’elles soient. Cela a permis aux producteurs de s’engager sur des projets idoines, tout en bénéficiant à la filière technique de la postproduction, mais aussi aux techniciens, voire aux artistes régionaux.

Plusieurs dispositifs, prenant en compte la coproduction internationale, existent à présent au sein de la Nouvelle Aquitaine. Les fonds filière gérés directement par la région que sont l’aide au programme d’entreprises et le fonds Film (Fonds Innovation Long Métrage), ce dernier portant une très forte attention à ce type de dossiers. Des forfaits de 15 000 € peuvent ainsi être accordés, sous conditions, à du développement. Et l’ALCA, en charge du fonds de soutien, instruit également des projets à vocation internationale, de tous types et à chaque stade. « Il m’arrive ainsi de suivre des auteurs étrangers dont j’ai pu coproduire le premier film en arrivant sur des scénarios très écrits avec une partie du financement étranger déjà en place » explique David Hurst, basé à Bordeaux avec sa société Dublin Films. « Mais sur le deuxième, je vais me positionner très tôt, en trouvant un financement dès l’écriture. Je serai alors coproducteur délégué avec l’étranger. En cumulant une aide régionale avec une autre région européenne je peux obtenir un montant supérieur à celui de Cinémas du Monde. Mais arriver à cumuler les trois, ce qui est très rare, permet de se retrouver avec un budget de 300 à 400 000 €, ce qui devient alors très significatif pour un film étranger ». David Hurst travaille avec l’Amérique Latine depuis six ans et en particulier en Colombie. « Si je n’avais pas eu le soutien de la région dès le départ, je n’en serai jamais arrivé là ». Parmi ses dernières productions, le documentaire colombien Anhell69 de Théo Montoya, sélectionné à la dernière Semaine de la Critique de Venise, qui a eu l’aide à la production documentaire de la région et a bénéficié d’un tout nouveau dispositif passant par le COM. Les deux chaînes régionales TV7 et Kanaldude associées autour d’une collection documentaire baptisée Ofni (Objets filmiques non identifiés), ont en effet préacheté le film 10 000 € chacune. Et de plus en plus de structures empruntent des chemins similaires. Implanté à Rochefort, Poetik Film vient ainsi de coproduire Ashkal deuxième long métrage de Youssef Chebbi, coproduction franco-tunisienne portée par Farès Ladjimi (Supernova films). L’apport régional s’est élevé à un total de 123 000 €, soit 100 000 € du fonds de soutien de la Nouvelle-Aquitaine et 23 000 € du département de la Charente-Maritime. « C’est absolument indispensable pour cette typologie de film » confirme Farès Ladjimi. Poetik Films coproduit également Les larmes du crocodile, premier long métrage du cinéaste indonésien Tumpal Tampubolon, produit par Claire Lajoumard d’Acrobat Films.

Soucieuse de s’ouvrir à l’international, tout en restant fidèle à sa politique du « pas de côté », la région Centre Val-de-Loire a mis en place à partir de 2018 une aide au co-développement international, le dossier devant être porté par un coproducteur régional, sans obligation de minimum de dépenses sur le territoire ce qui permet à ce soutien de se démarquer de celui de toutes les autres régions. Entre 15 et 20 dossiers sont déposés chaque année, le dispositif étant de plus en plus sollicité, notamment par des sociétés historiquement installées sur le territoire qui décident de franchir le pas. C’est le cas récemment pour Girelle Production, basé à Orléans, dont le projet I The Song de Dechen Roder, coproduit avec le Bhutan et Taiwan, a été sélectionné au Venise Gap-Financing Market. La société faisait initialement du documentaire et du court métrage d’animation avant de se lancer dans ce projet de long métrage de fiction. Autre exemple marquant, celui de SaNoSi Productions, créé à Maintenon (28) par Jean-Marie Gigon qui a notamment produit Freda de Gessia Geneus ou encore H6 de Ye Ye tous deux sélectionnés à Cannes en 2021, le premier à Un Certain Regard et le second en séance spéciale. « Freda a bénéficié de ce dispositif qui est de plus en plus demandé. Cela a été capital d’autant que le film s’est monté en très peu de temps » raconte le producteur. « Nous avons décidé de faire le film avec la réalisatrice en mars 2019, pour le tourner en janvier 2020. Cela aurait été impossible sans cette aide au co-développement qui m’a notamment permis d’envoyer quelqu’un faire des repérages préparatoires en Haïti ».

Freda de Gessica Généus - SaNoSi Productions
Freda, de Gessica Généus, 2021 ©SaNoSi Productions

Outre le soutien direct aux projets, de tels systèmes ont à la fois des effets structurants mais aussi attractifs en se combinant à d’autres. Le fait est notable dans la région qui a mis en place une aide à la création d’entreprises émergentes sur son territoire, en partenariat avec la Femis et l’Ina. Au vu d’un contexte de plus en plus difficile pour la production cinéma indépendante, beaucoup de producteurs nouveaux entrants ont clairement conscience que se lancer seuls, dans des projets financés uniquement par des guichets franco-français, sera pour le moins difficilement tenable. A l’inverse, la coproduction internationale apparait comme un moyen sûr pour développer son expertise, tant artistique, technique que financière, tout en permettant de se constituer un réseau. C’est le cas par exemple pour Take Shelter créé en 2020 par Simon Bleuzé, Alexis Genauzeau et Margaux Juvénal et basé à Orléans. Autre exemple parlant, celui de Petit Chaos, fondé en 2018 à Tours par Thomas Hakim et Julien Graff, qui travaillent avec des auteurs français, mais aussi étrangers. Ils ont notamment produit le documentaire Tout une nuit sans savoir de Payal Kapadia. Soutenue au développement documentaire de Ciclic en 2020, cette production déléguée française, en coproduction avec l’Inde, a été sélectionnée en 2021 à la Quinzaine des réalisateurs. Quant à l’animation, soutenue de longue date par Ciclic, elle est par essence coproduite avec des partenaires étrangers. Ce qui amène l’agence à remettre des prix dans les principaux marchés de coproduction tels que le Mifa à Annecy ou le Cartoon Movie.

Autre dispositif ouvert à l’international, l’écriture de premiers et deuxièmes longs métrages, pour lequel 120 dépôts sont effectués annuellement. Au départ destiné seulement aux productions françaises il a bénéficié de cette ouverture, afin de permettre aux porteurs de projet de solliciter une aide à la coproduction internationale dès l’écriture. Ces derniers ont ainsi accès à une première enveloppe de 2x20 000 € (écriture et développement) à laquelle peut s’ajouter à l’aide au co-développement international, plafonnée à 40 000 €. Soit un total de 80 000 € sans obligation de dépenses territoriales. Sans avoir mis en place de fonds d’aide à la production la collectivité joue ainsi un rôle déterminant pour la filière, la stratégie de production étant particulièrement prise en compte pour attribuer les aides au co-développement international. Là-dessus se rajoute le dispositif créé en partenariat avec le Fonds des Médias du Canada, visant à favoriser et soutenir la coproduction internationale entre la région Centre-Val de Loire et le Canada. Dédié aux projets audiovisuels en cours d'écriture ou de développement, portés par des producteurs canadiens et français (et non pas spécifiquement régionaux), il est alimenté par une enveloppe de 200 000 €, financée à parité par le Fonds des Médias du Canada et Ciclic Centre-Val de Loire. La première session s’est déroulée en janvier 2022 les dossiers devant être déposés conjointement au FMC et à Cliclic, débouchant sur un soutien à trois projets documentaires et un de fiction. A terme, ce partenariat inédit, pourrait aussi permettre au territoire de capter des tournages. L’idée sous-jacente est à présent d’élargir ce type de collaboration entre fonds.  C’est dans cette optique que Ciclic remettra un prix dès janvier 2023 à Trieste, à l’occasion du forum de coproduction « When East, Meet West » (WEMW).

Lors de leur commission plénière du 5 mars 2020, les élus franciliens ont voté la mise en place d’un volet complémentaire destiné à soutenir les coproductions minoritaires, internationales et européennes, sans obligation de tournage ou de fabrication en Île-de-France. Prenant en compte le budget total du film, il peut servir à financer une post-production. Il a été rapidement identifié par les professionnels, sa seule contrainte étant de dépenser au minimum 100 000 € sur le territoire. Le but visé ici est donc clairement de soutenir les industries techniques et l’emploi des techniciens. Depuis, ont été notamment accompagnés La conspiration du Caire de Tarik Saleh, To the North de Mihai Mincan, Tori et Lokita de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne ou encore Costa Brava Liban de Mounia Ak, soutenu d’abord en co-développement par Ciclic, l’Ile de France prenant ensuite le relais sur la coproduction. Sa productrice, Sophie Erbs, possède une double casquette. Elle a créé à Orléans sa propre société, Gaïjin, mais travaille aussi en tant que productrice associée avec Cinema Defacto (Tom Dercourt) basé à Paris. « En tant que productrice régionale, de telles aides sont indispensables car tous les producteurs n’ont pas accès à ce type de soutien » souligne-t-elle. « Et à titre de producteur francilien, ce sont des outils que l’on peut aller chercher en complément de tous les guichets nationaux. Par ailleurs un dispositif comme celui de Ciclic est d’autant plus important, que si le mouvement vers la coproduction est établi depuis longtemps à l’échelle européenne, le développement a été la plupart du temps exclu. C’est indispensable car cela me permet de rentrer très tôt sur des projets, ce qui me donne un avantage par rapport à d’autres pays ne soutenant que la production. Certains partenaires me contactent à présent car ils souhaitent pouvoir co-développer ». Sophie Erbs a également bénéficié de ce soutien au co-développement pour les deux prochains projets d’Adana Pintilie (La jeune fille et la mort) et Boo Junfeng (Trinity).

Costa Brava, Liban de Mounia Akl - Abbout Productions
Costa Brava, Liban de Mounia Akl, 2021 ©Gaijin, Cinema Defacto, Abbout Productions

Tendance similaire au sein de la Région Sud (Provence-Alpes-Côte d’Azur) qui a mis en place un soutien majoré (+ 5000 € par rapport aux montants courants), dès le stade du développement, pour les projets mettant en place une coproduction internationale. Elle existe depuis début 2018 pour le long métrage (fiction, documentaire et animation), ayant été étendue en 2020 à la fiction audiovisuelle. Et les coproductions internationales peuvent aussi être accompagnées au stade de la production. Quant aux contraintes de territorialisation, elles ont été limitées à 100% de l’aide, contre 160% pour les autres. 64 projets de ce type ont été déposés en deux ans (2019-2020), principalement entre sociétés de l’Union Européenne. Et 28 (huit en développement et 20 en coproduction) ont été soutenus par le fonds d’aide régional en deux ans, pour un budget annuel moyen de 1,33 M€. L’un des premiers projets à avoir bénéficié de ce dispositif en 2018 a été le long métrage L’homme qui vendu sa peau, de Kaouther Ben Hania, coproduction franco-tunisienne, primée dans de nombreux festivals et qui a représenté la Tunisie dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger. L’aide au développement a permis l’implantation d’une partie du tournage en région Sud, notamment à Marseille, la coproduction locale étant assurée par Istiqlal Films. Parmi les films soutenus au titre d’aide à la production, figure Adults in the Room de Costa-Gavras, KG Productions ayant choisi la Planète Rouge à Marseille comme prestataire principal de post-production. 

L’arrivée de ce soutien majoré a eu un effet immédiat sur le long métrage documentaire, la région passant de deux soutiens annuels par an, à plus d’une demie douzaine. Parmi les projets phare, figure Little Palestine, journal d’un siège d’Abdallah Al-Khatib, porté en région par les Films de Force Majeure. Sélectionné notamment en 2021 par l’Acid à Cannes puis par Visions du Réel et le prestigieux IDFA d’Amsterdam, il avait été soutenu au développement puis à la production. Autre société très active à l’international, Les Films de l’œil sauvage qui a notamment produit En route pour le milliard de Dieudi Hamadi, sélectionné notamment à Cannes et Toronto en 2020. L’année dernière, neuf projets de documentaires ont été soutenus en développement simple, se partageant 83 000 € et douze en coproduction pour un total de 180 000 €. De nombreuses sociétés franchissent ainsi le pas. Et le pôle fiction de la région se renforce également comme en témoigne la sélection à la rentrée d’Ad Astra (basé à Cannes) et des Films de Force Majeure, pour rejoindre le programme annuel ACE Producers Network. A noter par ailleurs l’existence d’une société comme Promenades Films, spécialisée dans les coproductions avec l’Amérique Latine. Et la dimension internationale peut être prise en considération dans l’aide aux projets groupés, même si elle ne constitue pas un élément déterminant.

EVOLUTION DES SOUTIENS ACCORDES AU LONG METRAGE DOCUMENTAIRE DEPUIS 10 ANS (2011-2021)

Evolution du soutien au long-métrage documentaire [Panorama]

En parallèle, la Région Sud soutient d’autres dispositifs incitant à la coproduction internationale, comme les résidences d’écriture Méditalents (Lab Med pour les longs métrages de fiction et Lab Doc pour le documentaire). C’est dans ce cadre qu’a d’abord été soutenu Un Fils de Mehdi Barsaoui, coproduit entre 13 Productions à Marseille, Dolce Vita à Paris et Cinétéléfilm Prod en Tunisie,  avant de bénéficier des aides au développement et à la production de la collectivité. Autre initiative, les Ateliers de la Méditerranée, créés dans le but de favoriser le dialogue entre les deux rives de Mare Nostrum par le cinéma et son industrie. Organisés par quatre associations (Aflam, Films Femmes Méditerranée, LPA Les Producteurs Associés de la Région SUD et Méditalents), ils ont précédé la tenue des Rencontres de Coproduction Francophone qui se sont déroulées cette année à Marseille à la mi-octobre.

A la mi-mai 2020, était lancé Bretagne Cinéma, regroupant sous une même bannière les actions de Simag, le Service images et industries de la création - ce dernier gérant le Fonds d’aide à la création cinématographique et audiovisuelle (FACCA), - avec celles menées par Accueil des tournages en Bretagne. L’idée de base était de revoir l’architecture du système d’aide et de créer de nouveaux outils et leviers destinés à soutenir l’essor du secteur à l’échelle européenne et internationale, ce qui allait de pair avec les ambitions des producteurs bretons. Cela s’est traduit par la mise en place d’une aide au co-développement international, accessible aux sociétés installées en Bretagne. Elle concerne longs métrages, mais aussi séries, le plafond étant de 40 000 €. Par ailleurs le producteur breton peut être minoritaire. En complément, si les aides à la production ne sont pas estampillées « international », le fonds ne s’interdit pas d’aller sur de telles coproductions, dès lors qu’elles engendrent notamment des dépenses territorialisées. Deux projets viennent ainsi d’être doublement accompagnés : Mi Bestia de Camila Beltrán, porté par les Films Grand Huit et le film d’animation Of unwanted things and people, adaptation de nouvelles de l’écrivain tchèque Arnost Goldflam, coproduit par Vivement Lundi, qui a pu ainsi se positionner très en amont, tout en consolidant par la suite sa position en production. Triplement nommé aux Oscar, le documentaire d’animation Flee de Jonas Poher Rasmussen a également été soutenu dès le développement, la fabrication de la part bretonne du film s’étalant sur plusieurs mois dans le studio rennais Personne n’est parfait !.

 

A l’heure où les producteurs français se trouvent face à une difficulté accrue d’accès à certains guichets, voire la diminution de certains montants, qui plus est dans un contexte de hausse de certains coûts de production liés notamment à la crise énergétique, l’ouverture au développement et à la coproduction internationale qui se met en place au sein de plusieurs collectivités territoriales, a des effets vertueux à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle permet l’accès à des sources de financements supplémentaires, mais aussi en raison de la dimension structurante indéniable pour les filières régionales. Celles-ci se retrouvent en effet confrontées très en amont à des écosystèmes de production différents et certains partenaires, comme les canadiens, peuvent se montrer très exigeants dans la constitution des dossiers de financement. Une occasion en or pour acquérir rapidement des expertises nouvelles et précieuses pour la suite. Dire que, parallèlement au CNC, les régions françaises deviennent des interlocuteurs de plus en plus incontournables pour les partenaires internationaux, relève même du pléonasme, car la plupart sont capables de réagir avec souplesse en adaptant leurs dispositifs aux besoins de la filière, quand elles n’en créent pas de nouveaux. Dans un tel contexte, il est tout aussi indispensable que les régions puissent travailler de concert en faveur du développement et de la coproduction internationale afin d’accompagner au plus près la production indépendante, loin de tout esprit de concurrence entre territoires, à l'instar des réflexions portées au sein de l'association Ciné Régio.

Patrice Carré

Un document d'analyse et d'observation réalisé avec le soutien de la Région Centre-Val de Loire, en partenariat avec le CNC.

Cet article a été écrit par Patrice Carré avec Pierre Dallois et l'aide de Pauline Martin et Lola Verney.

Directeur de publication : Philippe Germain / Date de publication : 10 janvier 2023