— Publié le 03/01/2023

L'odeur de chlore

Irma Pelatan

Éditions La contre allée, mars 2019, 80 pages, 13€

L'odeur de chlore, c’est la réponse de l’usager au programme "Modulor" de l’architecte Le Corbusier. C’est la chronique d’un corps qui fait ses longueurs dans la piscine du Corbusier à Firminy. Le lieu est traité comme contrainte d’écriture qui, passage de bras après passage de bras, guide la remémoration. Dans ces allers-retours, propres à l’entraînement, soudain ce qui était vraiment à raconter revient : le souvenir enfoui offre brutalement son effarante profondeur.
Quelque chose de très contemporain cherche à se formuler ici : comment dit-on « l’usager » au féminin ? Comment calcule-t-on la stature de la femme du Modulor ?
Lorsque le corps idéal est conçu comme le lieu du standard, comment s’approprier son propre corps ? Comment faire naître sa voix ? Comment dégager son récit du grand récit de l’architecte ?
J’ai cherché à traduire la langue du corps, une langue qui est toute eau et rythme. Délaissant la fiction, j’ai laissé le réel me submerger. À la « machine à habiter », je réponds avec du corps, de la chair, jusqu’à rendre visible l’invisible, jusqu’à donner une place à l’inaudible.
Si tu savais comme je suis bien.

Irma Pelatan

Extrait

Je veux parler du corps, de la mesure du corps. Ce corps changeant, depuis la plus petite enfance, ce corps qui constamment devient, ce corps qui m’ échappe. Le contraire de la stabilité, le lieu des marées. Mon corps qui dit,qui signifie ce que je ne sais pas mettre en mots, ce message sans doute si terrifiant, si déformant. Mon corps qui suit de grands rythmes, qui semble pris dans un tout dont je ne sais rien, si proche étranger. L’étrangeté de mon corps, depuis toujours, vivre à côté de lui sans comprendre ses logiques, sa vie qui s’emballe, ses plaisirs. Mon corps comme lieu, non c’est faux, mon corps comme personne, comme altérité dont je ne sais pas le début, mon corps comme mystère. Comment mon corps peut-il être mystère à moi-même ? Je cède le pouvoir, depuis toujours, je laisse d’autres gouverner mon corps, lui imposer des rythmes, des récits, des attitudes. Mon corps n’est pas en mon pouvoir. Je ne suis pas le centre de mon corps. Il y a cette sorte d’extraction dont je ne sais que faire.

Ressources

Sur le livre et l'autrice

À lire

La piscine de Wogenscky comme décor, Valérie Thouard, AMC, 25 octobre 2019

Les mouvements du bassin, Guillaume Lecaplain, Libération, 30 juillet 2019

Chronique du roman L'odeur de chlore, Virginie Mailles Viard, Le Matricule des Anges, avril 2019

Plongeon dans l'utopie achevée de Le Corbusier à Firminy, Dalya Daoud, Rue89Lyon par L'Obs, 23 avril 2019

L'effet aquatique, Isabelle Motrot, Causette #107, 2019

À écouter

Chronique du roman L'odeur de chlore d'Irma Pelatan par la librairie La vie devant soi à Nantes, émission Sélection livres, France bleu Loire Océans, 20 avril 2019

 

Sur l'autrice

À lire

Entretien avec Irma Pelatan, Anna Laillet, Blog Hors Concours, 17 juillet 2020  - Première partie et Deuxième partie

 

Pour aller plus loin

À écouter

Série Se jeter à l'eau, épisode 2 "Souvenirs de ma première brasse", émission Une Histoire particulière, un récit documentaire en deux parties, France culture, 07/04/2019

À voir

"Tout Le Corbusier dans une cabane", émission Gymnastique, Arte, La Blogothèque, 2019


Irma Pelatan est née quelque part sur le calcaire pelé du Causse Méjean, vers 1875. C’est cependant sous l’exact soleil de Tunisie qu’elle est morte, en 1957. Sur la carte entre les pointes du compas, s’ouvre tout l’espace de la Méditerranée, ce centre flottant – infini terrain de jeu pour sa soif d’ailleurs, pour ce fol esprit aventureux. 
Irma Pelatan a pris corps à nouveau – mon corps – le neuf mars 2017, dans la chambre douze de l’hôpital de Vienne. Depuis, elle conquiert du terrain.