Le Petit Chaperon rouge... - Le réalisateur

Le cartoon selon Tex Avery

Avery contre Disney

Tex Avery, c’est l’anti-Disney. À l’un, la douceur, l’harmonie, la mesure apollinienne ; à l’autre, le désordre, la folie, l’excès dionysiaque comme le montre le cartoon Screwball Squirrel (L’Écureuil dingue) opposant le fameux rongeur fou à Sammy l’écureuil, une petite boule de poils toute disposée à participer à une gentille histoire lisse à la Walt Disney où il pourra jouer avec ses sympathiques copains de la forêt. Par crainte de s’ennuyer (les personnages de Disney sont beaucoup trop sages pour les créations borderline de Tex Avery), le diabolique Screwy entraîne le pauvre Sammy derrière un arbre, l’assomme et part en découdre avec le chien débonnaire Meathead avec qui, à la fin, il fera cause commune contre l’écureuil disneyien…

Un monde fou, fou, fou.

"Cartoon" est un terme anglais dérivé du français "carton" qui désigne chacun des dessins destinés à composer un film de dessins animés. Par extension, le mot est utilisé pour le film lui-même. Le cartoon selon Tex Avery (de son vrai nom Frederick Bean Avery, né en 1908 au Texas dont il gardera les trois premières lettres pour se faire un "nom") constitue un univers où tout est possible. Durant les douze années où il travaille à la MGM (1942-1954) et crée 65 courts métrages animés, Tex Avery laisse libre cours à son imagination débridée. Son sens du comique le pousse vers l’absurde, la démesure destructrice et l’exagération totale des situations. Outre Screwy Squirrel, ses personnages emblématiques sont Droopy (seize apparitions dans des rôles souvent différents), le Loup (séducteur ou ennemi public n° 1), le chien Spike, les ours George et Junior et, bien sûr, les pin-ups, vamps et autres girls à la plastique avantageuse. Tous ces protagonistes donnent souvent l’impression d’échapper à tout contrôle, comme s’ils étaient doués d’une vie autonome, d’une intelligence maligne qui leur confère le pouvoir de pervertir eux-mêmes les codes narratifs et graphiques des images. Ils se dédoublent ou sortent du cadre (ou format de la pellicule) pendant une course-poursuite ; des moutons dévorent la pellicule du film ; une souris malicieuse dévoile la chute de l’histoire, instaurant ainsi une heureuse complicité avec le public. Cette complicité devient ouvertement moqueuse quand l’écran vire au noir total et qu’un personnage apparaît pour dire : "C’était le meilleur gag du film et tu ne l’as pas vu !" Outre les intertitres et les commentaires des personnages sur l’action ou les gags eux-mêmes, Tex Avery adore "parasiter" l’écran de grains de poussière et de faux poils poussant le projectionniste à se faire des cheveux… Chez lui, la vraisemblance des dimensions (un chat et une souris deviennent plus grands que le globe terrestre grâce à une potion magique dans King Size Canary) sinon les lois physiques sont abolies (un kangourou effrayé disparaît dans sa propre poche dans Slap Happy Lion). Le ressort comique s’appuie également sur la violence des contrastes (de rythme, de caractère, de physionomie…) : à la lascivité de la vamp s’oppose l’hystérie libidineuse du Loup, à la célérité de ce dernier l’extrême lenteur de Droopy, à la placidité de celui-ci son déchaînement de joie inattendue à la fin de Droopy fin limier. Enfin, les objets eux-mêmes changent de fonction au gré de l’intrigue et de l’intérêt des personnages : l’estomac d’un lion sert de cachette au Loup (qui y retrouve d’ailleurs son poursuivant Droopy) ou un plan d’eau devient une carpette que l’on soulève pour y chercher son adversaire…

Désordre et férocité

Avery rompt également avec la sagesse du happy ending en proposant parfois des chutes cruelles telles que celle d’Un oiseau de mauvaise augure où le ver de terre est mangé par l’oiseau qui est lui-même dévoré par le chat. La satire est souvent féroce comme dans The Blitz Wolf, parodie antinazie des Trois Petits Cochons où le Loup-Hitler rompt le pacte de non-agression pour envahir Pigmania (voir son pas de l’oie suivi d’une démarche sur la pointe des "pattes" pour dire l’imposture du dictateur). La satire est aussi affectueuse à l’image du Putois amoureux où un crooner à la Sinatra rend l’assistance féminine à fourrure raide dingue. Ici, le corps filiforme du chanteur est une tige aussi épaisse que le pied de son micro derrière lequel il disparaît littéralement. L’homme apparaît à ce point anémique qu’il doit poursuivre (mais toujours imperturbablement) sa Rhapsody in Pew acidulée tout en recevant une transfusion sanguine, puis de l’oxygène et finir enfermé dans un poumon d’acier !

Philippe Leclercq, 2011

Crédits photogrammes : 
Police montée (Northwest Hounded Police, 1946 - MGM)
King Size Canary (1947 - MGM)