Fantaisie et sobriété
« La première version du scénario a été écrite lors du Marathon d’écriture de courts métrages du Festival des scénaristes de Bourges en 2007. La préparation a ensuite duré environ un an : réécriture totale, financement, casting, écriture de la musique, recherche et conception des décors… Quant au tournage, il s’est passé comme une chanson : il n’a duré que six jours, ce qui est peu pour un film avec de telles ambitions chorégraphiques et scénographiques, mais nous avions préparé un découpage technique (description des plans avant tournage - angle de prise de vue, mouvement de caméra, décor, jeu d’acteur…) très précis auquel nous nous sommes tenus. J’avais aussi dessiné un petit story-board sommaire (dessin des plans avant tournage).
Chorégraphies
Pendant le tournage, j’ai appréhendé les scènes chorégraphiées en me disant que ce n’était pas mon travail ! J’ai choisi de les déléguer à une chorégraphe, Nancy Rusek, à qui j’ai expliqué ce que je recherchais : le mouvement pur de la danse, avec un mélange de drôlerie et de poésie. Elle a recruté une troupe de danseurs avec laquelle elle avait déjà collaboré et a conçu des pas de danse plus simples mais loufoques pour les Zic Zazou, le groupe de musiciens qui joue dans le film et qui n’avait aucune expérience en tant que danseurs.
J’ai fait le choix du plan fixe car la caméra à l’épaule est préconisée dans les films plus réalistes ou d’action. Ce n’est pas l’univers de ce film, qui se veut tout sauf réaliste. De plus, je trouve que la danse est plus belle à voir en « tableaux », quand elle évolue dans un cadre qui ne nécessite pas de mouvements de caméra superflus.
Chansons
Pour les scènes chantées, j’ai tout d’abord écrit les paroles, puis un ami scénariste m’a suggéré Jean-François Hoël pour l’écriture de la musique. J’avais vu le spectacle des Zic Zazou, dont il fait partie, et j’ai trouvé intéressante l’idée de créer une musique avec les objets du quotidien. Jean-François et moi avons décidé de mettre la barre assez haut, et d’essayer de faire des chansons plutôt pop, qui rentrent dans la tête. Il composait de son côté, puis il partait enregistrer les meilleurs sons de cafetière, qu’il samplait ("échantillonnage" en anglais : utilisation d’un extrait sonore en dehors de son contexte d’origine), construisant ainsi par couches la bande sonore des chansons.
Les chansons permettent l’expression de situations problématiques et de sentiments intimes mais elles allègent également le propos (mélodies simples, rythme sautillant, sons d’objets du quotidien ou de l’usine Menagex…). Je voulais donner une tonalité qui fasse sourire, avec l’influence de Boris Vian pour les paroles, qui mettent l’accent sur les jeux de mots, l’absurde, les rimes surprenantes. C’est pareil pour les objets du quotidien : si votre cafetière se met à souffler en rythme, alors tout devient possible ! C’est ainsi, par ce petit décalage, par le côté inattendu, que le message du film passe mieux, avec légèreté, et avec drôlerie.
Les acteurs ont prêté leur propre voix : je voulais des acteurs sachant chanter, et non des chanteurs sachant jouer la comédie. Quant aux Zic Zazou, ils chantent certains refrains et ont enregistré les chœurs.
Je trouve souvent que le passage du parlé au chanté est difficilement négocié sur les comédies musicales. La chanson arrive comme un cheveu sur la soupe, elle tombe du ciel et rompt l’adhésion du spectateur car il est plongé dans une utopie soudaine qui le détache des enjeux des personnages. Grâce à Jean-François, j’ai pu passer du parlé au chanté de façon justifiée.
Influences
J’ai vu beaucoup de comédies musicales en DVD et en salles art et essai avec ma fille de 12 ans : celles de Demy bien sûr, mais surtout des comédies musicales hollywoodiennes. J’ai une préférence pour ces dernières que je trouve plus ludiques, plus loufoques. En particulier Singin’ in the Rain de Stanley Donen et Gene Kelly, que nous avons regardé en boucle. J’aime leurs personnages secondaires, comme celui de Cosmo Brown (interprété par Donald O’Connor) qui se permet des acrobaties dans la tradition du
slapstick (burlesque basé sur les mouvements du corps. De l’anglais slap stick, qui désigne un instrument de musique qui claque). Je m’inscris aussi dans la lignée de Buster Keaton, Harold Lloyd, Charlie Chaplin…
Ma seconde grande référence est Jacques Tati pour son souci du détail. Playtime en particulier, où, si l’on est attentif, on aperçoit toujours un personnage en arrière-plan en train de faire une bêtise, l’air de rien. Enfin, j’aime beaucoup le cinéma d’Aki Kaurismäki, sa façon de filmer, son économie de moyens : le choix du plan fixe, la retenue des dialogues et des émotions. Il a inspiré ma direction d’acteurs. Je disais à Grégory Montel : « Sois finlandais ! ». Je suis à la recherche de la sobriété, même dans la comédie musicale.
Générique
Le générique s’inscrit quant à lui dans la tradition des années 60, dont Saul Bass est le représentant le plus connu : il donne le ton du film, son atmosphère. L’idée d’un générique aussi élaboré est venue au moment du montage. C’est une infographiste qui travaille déjà pour le cinéma qui s’en est chargé. Nous avons utilisé des schémas d’ustensiles ménagers qui, associés aux paroles de la chanson, devenaient suggestifs. Ce choix était risqué car il pouvait facilement passer pour de la prétention, une dépense d’argent ostentatoire. Mais nous sommes restés dans un budget limité propre à l’économie du court métrage.