L'Émigrant - La génèse

Charlot fait du ciné

En 1983, les historiens du cinéma Kevin Brownlow et David Gill réalisent pour la télévision anglaise Unknown Chaplin (Chaplin inconnu), un documentaire en trois volets pour lequel ils ont accès aux archives personnelles du cinéaste, qui comprennent des scènes et des prises tournées pour ses films mais non retenues dans ceux-ci. Le montage qu’ils ont effectué à partir de ce matériel constitue un formidable témoignage du travail cinématographique de Chaplin : travail à la fois empirique, très humble et très exigeant, inlassablement remis sur le métier, le film s’inventant pas à pas lors du tournage et des ses repentirs (Chaplin poussera cette singulière « méthode » à son paroxysme lors des tournages de La Ruée vers l’or et des Lumières de la ville). Du premier volet de ce documentaire, nous extrayons le passage consacré au tournage de L’Émigrant.

Chaplin inconnu, de Kevin Brownlow et David Gill © Lobster Films

Notes complémentaires :

- Pour un métrage final de 550 mètres, 27000 mètres de pellicule auraient été impressionnés lors du tournage de L’Émigrant, soit autant que pour le tournage de La Naissance d’une nation, que David W. Griffith avait réalisé deux ans plus tôt et qui durait plus de trois heures. Le budget de L’Émigrant, comme celui de tous les films de Chaplin produits par la Mutual, aurait été voisin de celui de la superproduction de Griffith (environ cent mille dollars).

- À la fin des années 1910, aucun autre cinéaste que Chaplin ne se serait permis de mettre au panier une semaine de tournage (comme il le fit avec les scènes filmées où Henry Bergman jouait le serveur), ou de multiplier les prises. « Deux ans après L’Émigrant, D. W. Griffith allait tourner son ambitieux Lys brisé (Broken Blossoms) en ne faisant pratiquement aucune seconde prise : pour un metteur en scène tel que lui, tourner une scène plus d’une fois aurait été un constat de répétitions insuffisantes et donc d’erreur. Pour Chaplin, c’était au contraire l’affirmation qu’on pouvait toujours faire mieux. » (Francis Bordat, Chaplin cinéaste)

- Chaplin composa lui-même la musique de ses films à partir des Lumières de la ville, en 1931. Par la suite, il composa celle des films qu’il avait réalisés entre 1918 et 1928. En revanche, les films antérieurs à 1918, dont Chaplin ne possédait pas le copyright, ne furent pas mis en musique par lui. Deux compositeurs ont écrit après la mort de Chaplin une partition pour ses films de la période Mutual (dont L’Émigrant) : Michael Mortilla en 1989, Carl Davis en 2006 et Timothy Brock en 2012.

- Comme la plupart des films de Chaplin tournés avant 1918, The Immigrant (L’Émigrant) a été distribué sous d’autres titres : en anglais, The New World, A Modern Colombus, Hello USA, The Refugee, Broke ; en français, Charlot voyage.

Auteur du dossier : Jean-François Buiré, 2010.