L’accès à la culture comme réponse aux enjeux de société

Rencontre régionale en Centre-Val de Loire : Quels (nouveaux) territoires pour l'éducation artistique et culturelle ? Des images et des mots pour éveiller les regards - lundi 4 juin 2018 à Blois (41) 

En qualité de pôle régional d’éducation aux images, l'agence Ciclic a réuni le lundi 4 juin plus de 130 acteurs (artistes, enseignants, éducateurs, structures culturelles, collectivités territoriales…) de la région et d’ailleurs autour des enjeux d’éducation artistique et culturelle. Au moyen de trois tables rondes, cette journée de réflexion, de rencontres et d'échanges a mis en lumière l'étendue du maillage constitué par les dispositifs scolaires et hors temps scolaires. Elle a également facilité l'identification des acteurs qui œuvrent en faveur d’un croisement des approches et des champs d’intervention pour faire émerger un parcours de sensibilisation des jeunes. Enfin, elle a (ré)interrogé les enjeux sous-jacents à ces actions portées afin de poser les conditions de réussite, notamment en terme de coopération et de réseaux. 

En région Centre-Val de Loire, l'ensemble des dispositifs d'éducation à l'image touchent plus de 100 000 enfants et adolescents chaque année. Par "dispositifs", on entend à la fois les actions menées à l'école (on peut citer, sur le territoire national : École et Cinéma - Maternelle, École et cinéma, Collège au cinéma, Lycéens et apprentis au cinéma) et hors temps scolaire (parmi lesquels Passeurs d'images). A ces dispositifs nationaux, viennent s'ajouter une "multitude d’actions engagées en matière d’ateliers de pratique artistique, d’expérimentations pédagogiques et de parcours singuliers", relève en préambule Philippe Germain, directeur de l'agence (lire l'édito de Philippe Germain).

"Si le cinéma et l'audiovisuel constituent le fondement de ces opérations, le champ des écrans, des médias, des jeux vidéo et des arts numériques sont également investis par une grande diversité d'acteurs en région. En complément de ces initiatives autour des images, de nombreuses propositions visent également à développer l'éducation artistique et culturelle (EAC) en faveur du livre et de la lecture. En outre, ce maillage constitue "l’une des interventions les plus abouties et les plus structurées aux plans artistique, social et éducatif."


Agnès Sinsoulier-Bigot, vice-présidente de la Région Centre-Val de Loire déléguée à la culture et à la créativité numérique, présidente de Ciclic, témoigne : "Chacun d'entre nous peut certainement se souvenir d'un enseignant, d'un animateur qui nous a marqué et qui a bien souvent fait qu'aujourd'hui on travaille dans le domaine de l'éducation artistique et culturelle, de la culture. Dans nos vies, dans nos engagements, on a justement à cœur d'être nous-mêmes ces passeurs qu'on a rencontrés quand on était plus jeunes." Pour Philippe Germain, "accompagner les regards, en particulier celui des plus jeunes" est une nécessité et "une perspective fondamentale pour notre société." Fondamentale... et complexe, puisqu'elle touche à des problématiques très diversifiées, qui vont de l'exposition aux écrans, au développement de l'éducation à l'information, et au rôle de la culture comme un "objet de soin". 

Les tout-petits : un public prioritaire

C'est sur cette première question de l'exposition aux écrans, particulièrement actuelle et clivante, que Ciclic a souhaité ouvrir sa journée, en donnant la parole à Lydie Morel, orthophoniste et membre du collectif COSE (Collectif Surexposition Écrans). Elle rencontre chaque jour des enfants avec d'importantes difficultés de langage, mais aussi dont les capacités de "rêverie, de fantaisie, le goût des mots, du rire, du plaisir à construire ensemble et à comprendre l’autre, de la nécessité humaine d’aller vers l’autre" sont en profond délitement. Avec des mots très forts, Lydie Morel alerte : l'industrie numérique cultive "l'assèchement de la pensée" (elle pointe un "recours à la réponse toute faite, l'immédiateté, le culte de la performance / récompense") et "le délitement sociétal" ("l'enfant n’exploite plus ce que c’est qu’être humain"). Avant de conclure : "Il ne s'agit pas de mettre les écrans à la poubelle, mais d'éduquer, d'accompagner". En somme : tout le propos de cette journée. 

Second intervenant de cette journée, Xavier Grizon met en place des expérimentations pour l'éveil au regard chez les jeunes enfants depuis 2002 au sein de l'association Cinémas 93. Pour lui, ce ne sont pas les écrans qui sont en cause, mais le flux d'images auquel ils sont exposés. Dans le cadre d'un partenariat avec les crèches, "on s’est rendus compte que les professionnels de la petite enfance sont souvent un peu perdus avec cette notion d’écrans. Ils ne savent pas quoi répondre à des parents qui leur demandent ce qu’ils peuvent montrer à leurs enfants". Fort de ce constat, il a engagé l'année passée une formation pour les personnels des crèches, qui initie à l’histoire du cinéma et à la programmation (comment construire une séance, organiser l’espace d’accueil,…). 

Enfin, Catherine Métais (Livre Passerelle) et Benoît Piederrière (Maison de la Culture de Bourges) complètent avec leurs propres vécus : respectivement sur des problématiques d'accès et de médiation à la lecture et sur le bénéfice de croiser les pratiques culturelles dès le plus jeune âge (par exemple : mise à disposition d'une mallette de livres jeunesse en parallèle du dispositif Maternelle et cinéma). 

Rencontre régionale - Table ronde 1 : Territoires d'éveil

De gauche à droite: Jean-Yves de Lépinay, Benoît Piederrière, Catherine Métais, Xavier Grizon et Lydie Morel.


> Soyons ouverts !

"Toutes ces actions, ces dispositifs, les textes [cadres de l'Éducation artistique et culturelle] ont une même finalité : celle de permettre à l'élève, et au-delà de l'élève, l'enfant, l'adolescent, d'accéder à ce qui lui permet de construire son parcours vers la vie d'adulte. Il s'agit dans un premier temps de faciliter l'exploration d'univers artistiques, d'univers différents, par des rencontres, favoriser l'ouverture de l'école vers un environnement culturel immédiat ou non, d'enrichir des savoirs, de découvrir des savoir-faire et donc de faire réellement acte d'apprentissage. Il s'agit également d'éveiller la curiosité, la sensibilité, d'apprendre à voir, à entendre, à ressentir, notamment par la pratique artistique. Il s'agit enfin de contribuer à construire un savoir-être, un devenir citoyen (...)" Anne-Marie Peslherbe-Ligneau, déléguée académique à l'éducation artistique et à l'action culturelle de l'académie d'Orléans-Tours. 


En terme de priorité d'action, l'éducation à l'information s'impose comme un nouvel axe fort.

"Internet a bouleversé notre rapport à l'information. Avant, on allait à la bibliothèque, au centre de documentation, où des documentalistes avaient au préalable effectué un tri de l'ensemble des ressources disponibles. Aujourd'hui, avec internet, les jeunes n'ont plus de filtre. Il faut absolument leur apprendre à décrypter, à concevoir leurs propres filtres." Agnès Sinsoulier-Bigot, en introduction de la rencontre.

Karen Prévost-Sorbe, coordinatrice au CLEMI, et Jérôme Bouvier, fondateur des Assises du journalisme de Tours, s'accordent à dire que l'enjeu n'est plus l'éducation aux médias mais à l'information : "Avant, il suffisait d'inviter un journaliste à raconter son métier devant une classe. Aujourd'hui, avec le contexte sociétal de plus en plus complexe que nous connaissons, cela ne suffit plus". Pour le journaliste, la réussite est conditionnée par "la cohésion essentielle entre les acteurs de l'éducation aux médias et aux images" et la "formation des enseignants" (Karen Prévost-Sorbe). En filigrane, les interventions réaffirment qu'il n'est pas pertinent de stigmatiser les écrans. En revanche, les enfants doivent être accompagnés à l'image, au sein d'un parcours de sensibilisation ouvert à une  diversité de champs culturels. En cela, il convient de prendre en compte la diversité des pratiques émergentes, à l'instar de jeux vidéos alternatifs, non commerciaux, de nouvelles formes de narration comme les séries télé et les nouvelles pratiques (Pauline Chasserieau de l'ACAP cite par exemple : le machinima, le mash up, le vjing...) qui permettent de nouvelles formes d'interaction / de médiation aux images. 

Enfin, le témoignage d'Arnaud Sylla, psychologue, vient confirmer que le croisement des approches est possible, quelque soit le domaine d'activité. Le professionnel utilise les jeux vidéos pendant ses consultations avec des enfants : "L’idée, c’est de pouvoir prendre en compte les problématiques des adolescents avec les objets du contemporain. Le jeu n’est pas là pour créer un rapport de séduction mais propose une rencontre moins réfractante, latéralisée. L’apport n°1 est de valoriser l’adolescent. Il faut qu’il choisisse de venir voir le psychologue lui-même, que ce ne soit pas que le choix des parents."

Dans la même dynamique, Bruno Genini, directeur de bd BOUM et de la Maison de la BD évoque quant à lui, des projets menés auprès de jeunes malades en milieu psychiatrique et auprès de jeunes migrants, où l'usage de la BD a été un vecteur essentiel de (ré)appropriation du langage.

Rencontre régionale - Table ronde 3: Territoires d'exploration

De gauche à droite: Jean-Yves de Lépinay, Xavier Girard, Céline Meneghin, Bruno Genini, Pauline Chasserieau, Arnaud Sylla, Jérôme Bouvier et Karen Prévost-Sorbe. 

> La culture est l'affaire de tous

Un 3e axe fort de la rencontre a été de rappeler, de démontrer et de valoriser à la fois le contexte fondateur dans lequel s'inscrit cette dynamique (loi pour la refondation de l'école, volonté récemment réaffirmée par les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale de développer l’éducation artistique et culturelle, Conférence Permanente Consultative de la Culture initiée par la Région Centre-Val de Loire, Charte de l'EAC, Guide de l'EAC, référentiel pour le parcours de l'EAC...) et la nécessité constante de travailler en partenariat, avec les équipes pédagogiques, les collectivités, les structures culturelles, les artistes, les médias...

"Avec le soutien des collectivités et des structures culturelles, il s'agit de constituer une sorte de trio dynamique et collaboratif entre l'artiste qui intervient, la structure qui le porte et l'équipe pédagogique. En tant qu'ancien professeur, je reste persuadée que pour que ce trio fonctionne, tous doivent faire concorder leurs efforts dès le prime amont du projet", précise Christine Diacon, directrice régionale adjointe de la Drac Centre-Val de Loire.

Plusieurs témoignages ont fait état de projets transversaux et participatifs, au service d’un décloisonnement des pratiques et des dispositifs à l’échelle locale, départementale et régionale. A titre d’exemple : les projets hors-temps scolaires portés par la Scène nationale de l’Equinoxe et de l’Apollo – Maison de l’Image dans les quartiers castelroussins; les actions de sensibilisation et de pratique des images dans le cadre des journées du Studio 28 en Eure-et-Loir ou encore dans le réseau des bibliothèques du Loir-et-Cher et des salles de cinéma de la région (1,2,3... ciné !). Enfin, a été exposé le travail de structuration de l’action culturelle dans les réseaux d’enseignement agricole à l’échelle de la région (formation des enseignants, festival de film suédé, Défi-lecture…).

Au fil de ces témoignages, ont émergé très clairement la nécessité d'accompagner et structurer la filière de l’EAC sur les territoires, ainsi que de former les relais éducatifs. A l'échelle des pôles régionaux d'éducation aux images, il semble essentiel de poursuivre un travail de repérage et de partage des expériences. A l'échelle des politiques publiques, de soutenir ces nombreuses initiatives et de permettre de nouvelles expérimentations. Enfin, il convient de souligner l'importance des artistes et des professionnels dans ces aventures, pour lequel il faut favoriser les bonnes conditions de leur emploi dans les projets. 

Pour aller plus loin, Ciclic vous invite à consulter des ressources complémentaires en lien avec les interventions de la journée. 

 Rencontre régionale - Table ronde 2: Territoires de coopération

De gauche à droite: Jean-Yves de Lépinay, Jean-Marc Nguyen, Kevork Alecian, Claire Coulanges et Pauline Chasserieau.