Jamais comme la première fois ! - Filiations

Le documentaire animé : montrer le faux pour dire le vrai

La notion de documentaire animé est apparue récemment, suite à l’essor de la production de films d’animation basés sur des faits réels. Bien que l’on puisse trouver des documentaires animés dès le début du cinéma d’animation, les années 1970 marquèrent le début d’un mouvement qui s’est poursuivi puis accentué dans les années 2000.

Le terme de documentaire animé peut sembler antithétique, puisqu’il rassemble le terme documentaire, qui est la captation du réel, et le terme animation, qui est une création pure, bien qu’inspirée souvent du réel, pour créer des images issues de l’imagination. Pourtant, la technique de l’animation sait magistralement être au service du réel, et nous en donne parfois une vision plus forte que des images filmées traditionnelles, comme a pu le prouver le film Valse avec Bachir de Ari Folman en 2008, qui a permis à ce genre hybride, le "documentaire d’animation" d’être reconnu par un large public.

Le développement du documentaire animé est dû au Studio Aardman – les créateurs des célèbres Wallace et Gromit – avec leurs deux Animated Conversations réalisés en 1978 pour la BBC. En 1982, le concept fut développé en une série de cinq films intitulés Conversation Pieces pour Channel 4, mettant en scène des personnages en pâte à modeler. Ces films ont inspiré nombre de réalisateurs de documentaires animés, puisqu’ils étaient basés sur l’enregistrement de conversations dans des lieux tels que des bureaux ou des auberges de jeunesse. Chaque épisode s’ouvrait sur l’image d’un magnétophone en marche, posant les films comme des documentaires. En 1989, le Studio Aardman a récidivé avec Creature Comforts, mettant en scène des animaux en pâte à modeler dont les voix étaient issues de véritables témoignages.

Aardman a mis en place les grandes lignes du documentaire animé tel qu’on le connaît en associant l’animation, réaliste ou non, et le témoignage. C’est ce système que l’on retrouve le plus souvent aujourd’hui, notamment dans Jamais comme la première fois ! de Jonas Odell et les deux autres films de sa trilogie, Mensonges et Tussilago.

Avec un style visuel très fort, Ryan de Chris Landreth a été la révélation de l’année 2004, et reçut l’Oscar du meilleur court métrage d’animation. Ryan retrace la vie de Ryan Larkin, l’un des plus grands réalisateurs d’animation canadien, aujourd’hui réduit à la mendicité. Contrairement à Jonas Odell, Chris Landreth se met en scène dans son film. Les scènes où l’on voit et entend les deux réalisateurs converser sont entrecoupées d’extraits du travail de Ryan Larkin, ainsi que de recréation d’épisodes de sa vie sous différentes techniques (photos, marionnettes…), dans lesquelles Chris Landreth intervient en voix-off, et de témoignages de personnes l’ayant connues, elles aussi représentées en 3D. Il en ressort un film psychédélique, visuellement euphorique, mais contrebalancé par un sentiment de tristesse poignant.

En 2007, Sandrine Stoïanov utilise, comme Jonas Odell, la voix off dans son film Irinka & Sandrinka, dans lequel une femme âgée raconte son enfance et son adolescence, permettant au spectateur de découvrir du même coup les événements historiques qui jalonnèrent sa vie. La femme, c’est Irène, tante de Sandrine, la réalisatrice. Elles sont représentées toutes les deux dans le film sous leur forme enfantine, et sous des noms inventés : Irinka et Sandrinka, diminutif de leur véritable prénom. Le film se rapproche esthétiquement de Jamais comma la première fois ! car il est un mélange de dessin traditionnel, de collages, de marionnettes, le tout associé sous le logiciel After-Effect.

En marge de nombreux courts métrages, le long métrage Valse avec Bachir de Ari Folman fit sensation au festival de Cannes en 2008. Comme Jamais comme la première fois !, Valse avec Bachir est basé sur les souvenirs du narrateur qui est, ici, le personnage principal et le réalisateur. Plus particulièrement, Valse avec Bachir est basé sur la recherche du souvenir. Ari, un ancien soldat iranien, a perdu la mémoire de la guerre. Il part alors en quête de ces souvenirs en retrouvant ses anciens camarades de l’armée. Le film est construit en montage alterné entre les séquences de la recherche et des souvenirs parfois fantasmés. Ari Folman précise souvent que son film n’a pas été réalisé en rotoscopie, malgré le naturalisme du dessin. Ce naturalisme colle parfaitement à cette recherche de vérité, entre fantasme et réalité.

Cécile Giraud-Babouche, 2011