Images du passé, acteurs du présent

« L’amateur est à la fois celui qui travaille et ne travaille pas son désir » Jean-Luc Godard in 6 fois 2

Depuis les premiers films de la fin du 19e siècle jusqu’à ceux que nous tournons aujourd’hui avec nos téléphones portables, les films amateur ont évolué, tout comme les enjeux et symboles qu’ils véhiculent. Du film de famille aux films militants ou de témoignages, l’intérêt de les sauvegarder n’est plus à démontrer. Aux côtés de plusieurs dizaines de cinémathèques au niveau européen, Ciclic Centre-Val de Loire protège leur fragile existence et défend les qualités esthétiques et artistiques de ces films. L’agence les envisage comme des documents culturels et anthropologiques. Ce ne sont pas seulement des récits anecdotiques, chacun recèle l’essence de son époque, une parcelle d’histoire. Imparfaits, chargés d’émotion, les films amateur collectés par Ciclic Centre-Val de Loire constituent à la fois une matière formidable pour les créateurs contemporains, et pour tous, des éléments de connaissance de la petite et de la grande Histoire.

Généralement en un seul exemplaire, les films conservés par Ciclic Centre-Val de Loire sont des objets uniques qui attestent d’une époque et de son contexte : la vie sociale, économique et politique y est représentée. C’est aussi un témoignage d’une façon de faire du cinéma puisqu’au-delà de l’image, le film amateur est garant d’une technicité. 

Ces témoins visuels nous confrontent au passé, nécessaire pour mieux comprendre notre présent. Comme tout objet d’histoire, ces images inédites et singulières font œuvre et doivent être interrogées. La singularité du document amateur en fait sa force, il recèle des indices complémentaires de la Grande Histoire. Dans une société du tout numérique, les archives du film amateur doivent être présentes et accompagner notre introduction aux valeurs de l’image. En cela, l’archive film amateur, image du passé, se positionne comme actrice de notre présent.

Collecter et conserver

Le film sur pellicule peut vivre particulièrement longtemps s’il a accès à un traitement adapté et à des conditions de conservation optimales. Malgré cela, cette conservation des supports audiovisuels est une course contre le temps car les matériaux constitutifs, jusqu’à la dernière génération apparue dans les années 80, se dégradent irréversiblement. Les conditions environnementales vont ralentir ou accélérer ce phénomène. Les sauvegarder, c’est-à-dire pouvoir voir ou entendre leur contenu, est l’un des plus grands défis de la conservation. La conservation préventive et la numérisation sont donc au cœur du processus de sauvegarde. La restauration de la qualité de l’image ou du son s’effectue exclusivement aujourd’hui sur les copies numérisées. Connaître les caractéristiques physico-chimiques d’un matériau est le premier acte qui permettra de choisir en toute connaissance les modalités de conservation. Il s’agit dans un premier temps de leur offrir des conditions de stockage adéquates dans des magasins de conservation à l’hygrométrie et à la température idéales. 

Une collecte sélective et maîtrisée

La numérisation haute définition a un coût. Aussi, les films retenus pour faire partie des collections Ciclic Centre-Val de Loire répondent à des critères qualitatifs de forme : état de conservation préalable au dépôt, exemplarité du format…, mais aussi de fond, car le contenu doit bien entendu présenter un intérêt pour le territoire, enrichir le fonds en documentant des évènements populaires ou historiques ou des manières de vivre d’un autre temps afin de constituer véritablement une mémoire filmée régionale.

La recherche de fonds encore dormants chez les particuliers s’accompagne parfois d’un long processus de sensibilisation auprès des futurs déposants. Néanmoins, la collecte effectuée ses douze dernières années a permis de rassembler des témoignages rares sur la vie quotidienne de l’une des plus grandes régions françaises au XXe siècle. La confrontation de ces « mémoires » permet de contribuer à l’éducation, à la compréhension du monde et de l’histoire contemporaine, en gardant à l’esprit la variété des compétences techniques des cinéastes amateurs, leurs diverses ambitions cinématographiques, techniques ou narratives, ou encore leurs différences de moyens financiers. 

Très encadrée juridiquement, la collecte de ces précieux documents fait l’objet de contrats définissant les modalités de dépôt et l’exploitation des films : en 2018, 48 contrats ont été établis avec des ayants-droits. À ce jour, le fonds comptabilise 1 102 déposants.

L’importance de l’indexation

L’une des forces du travail de Ciclic Centre-Val de Loire est la documentation précise de son fonds : recherches plus poussées nécessitées par certains fonds à caractère historique, économique ou technique, qualité des résumés. Le but est de préciser les contenus, de les vérifier, de les enrichir scientifiquement afin de sortir d’une forme de consultation nostalgique pour toucher également le cercle, certes plus fermé, de la recherche.

La présence de l’agence au sein de l’association PIAF (Professionnels de l’image et des archives de la francophonie) qui regroupe documentalistes professionnels et sources d’archives, permet de faire connaître son travail mais également de pouvoir mieux répondre à leurs attentes. La singularité et la différence du point de vue de l’image amateur, le naturel des situations, l’originalité des images dès qu’il s’agit de la vie quotidienne, sont des spécificités très prisées des cinéastes et des productions. En 2018, les enrichissements documentaires portent leurs fruits, révélant le potentiel patrimonial de certains films, notamment lors de demandes externes de recherche d’images, au profit de 54 demandeurs d’images. La grande majorité des cessions de droits s’adressait à des sociétés de production.

Construire la mémoire d’un territoire

L’un des enjeux majeurs de la conservation de ces films est de faire perdurer le témoignage et le fabuleux éclairage sociologique qu’ils représentent, en sauvegardant les regards singuliers sur une société rurale ou industrielle en mutation dans le courant de la seconde moitié du XXe siècle. À la fois source d’attachement territorial, elle permet de faire rayonner le patrimoine et l’histoire de la région au-delà de ses limites administratives.

Ainsi quelques fonds remarquables ont rejoint cette année les collections de Ciclic Centre-Val de Loire. Ils se dégagent de par leur qualité patrimoniale régionale ou internationale mais aussi par la qualité artistique qui émane de ces œuvres : le fonds Jean Rousselot (1917- 2003) qui documente après-guerre la vie locale le long de la vallée de la Claise, dans le sud de la Touraine ; le fonds Roger Morançay, pilote d’essai et résistant, qui filme à la fois des scènes de famille mais également ses différents voyages ; le fonds du dessinateur Piem ou encore l’important fonds de la Ville de Bourges. 

Aujourd’hui, les collections contiennent plus de 22 000 supports (pellicule et vidéo), 391 appareils et plus de 1 400 heures consultables par tous sur Internet. Elles couvrent de façon équilibrée tous les départements de la région, avec une prédominance pour l’Indre-et-Loire et l’Indre. Ces films, une fois numérisés, montés et documentés, forment un vecteur de communication incomparable sur le territoire. Ils concourent à la fabrication d’une histoire et d’une identité territoriale, où des protagonistes issus du Centre-Val de Loire ont parfois pu jouer un rôle au sein des relations mondiales. Ils forment un patrimoine mémoriel et un bien commun pour les générations futures.

L’archive, ancrée dans l’actualité pour sensibiliser les regards

La valorisation de ces documents incomparables leur rend leur place légitime et les ancre résolument dans le présent. Car d’image en image, se construit une conception fantasmée d’un passé idéal qui compose un mythe social ou familial dans lequel chacun est à même de se reconnaître. L’appropriation de ce matériau par les plus jeunes commence par exemple en l’incluant dans les expériences pédagogiques les plus innovantes, pour une approche ludique autour des archives du film amateur. Pour cela, un corpus de cent cartes d’images et de sons spécifiques au monde agricole d’Eure-et-Loir, issues de séquences d’archives, a été conçu pour la table MashUp avec le soutien du Conseil départemental d’Eure-et-Loir. Interface d’un nouveau genre, la surface réactive de la table MashUp restaure la dimension tangible du montage audiovisuel. Il ne s’agit plus, pour l’utilisateur, d’interagir avec un ordinateur, mais de manipuler physiquement des objets du monde réel, des cartes en l’occurrence, et de laisser les mains guider la pensée créatrice à partir d’éléments de patrimoine filmé à propos d’un sujet d’actualité, les fake news ou infoxs.

Faire connaître à la fois les techniques de conservation et de numérisation, ainsi que la valorisation nécessaire autour de ces fonds est un bon moyen de faire découvrir la richesse des collections auprès des futurs professionnels. Cette année, des étudiants du master Culture et médiation des arts du spectacle de l’université de Tours ont pu être accueillis à Issoudun pour une visite complète des réserves et une journée de sensibilisation.

L’image d’archives s’insère dans la modernité et, de par sa singularité et sa différence de point de vue, tient de plus en plus de place dans la réalisation de documentaires. La grande majorité des cessions de droits est consentie à des sociétés de production. Cette année, ce sont cinq films diffusés sur France 2 et France 5 qui ont sollicité quelques minutes extraites des collections. Un partenariat avec TV Tours Val de Loire a également vu le jour pour un programme de pastilles télévisuelles intitulé Mémoire du Val de Loire. Trente courtes séquences d’une minute trente ont ainsi été montées et diffusées par la chaîne. 

Un territoire, des habitants : des diffusions variées

Pour exister, un film, une archive doit vivre sur les écrans, être visible, consultable si possible par tous. Sur l’année 2018, l’ensemble des opérations menées ou encadrées par Ciclic Centre-Val de Loire a touché 12 324 personnes.

La transmission de films lors des opérations de diffusion fait l’objet d’un travail de contextualisation géographique, historique et sociale à la fois basé sur la documentation réalisée par Ciclic Centre-Val de Loire, mais aussi par des recherches annexes qui complètent la base de données. Cette prise de parole est aussi l’occasion d’interagir avec le public, les séances étant des moments d’échanges, un « voyage patrimonial » où le chargé de valorisation va donner un sens aux archives qui parfois reprennent vie sous les yeux du public. Ces projections sont souvent fortes en émotion, en souvenirs et permettent un échange parfois intergénérationnel entre voisins, amis, collègues etc… 

Parmi les diverses opérations de diffusion, les cinq nouveaux programmes Mémoires filmées (projections composées de films amateurs venant retracer de manière chronologique l’histoire d’un territoire) ont été concoctés par l’agence. L’ensemble de ces programmes a donné lieu à seize séances qui ont rassemblé 1 959 spectateurs.

Les ciné-conférences sont une proposition complémentaire du travail effectué lors des séances Mémoires filmées et approfondissent la compréhension des fonds. Cette année, Ciclic Centre-Val de Loire a mis en place huit ciné-conférences, notamment l’intervention de l’historien Pascal Ory traitant du fonds d’archives Gabriel Monnet, directeur de la Maison de la Culture de Bourges de 1963 à 1969, rassemblant un public de 150 personnes ou celle intitulée Sauvons Fontevraud ou la lutte en image d’un autre Larzac animée par l’historien Sébastien Layerle lors des Rendez-vous de l’Histoire. L’ensemble des actions a regroupé 289 spectateurs.

Les outils mis en place par Ciclic Centre-Val de Loire, le site Mémoire, la base de données et la chaîne d’accès aux fonds numérisés, sont performants et aident grandement à la participation et à la fabrication des programmes. Aujourd’hui le site contient 11 860 films dont 749 nouveaux publiés en 2018. Chaque contenu peut être visionné très simplement grâce à des entrées thématiques et à un outil de recherche avancée. Le site est enrichi quotidiennement par la publication de films amateurs.

Les réseaux sociaux sont une porte d’entrée de plus pour amener de nouveaux types de public. La page Facebook Ciclic – Mémoire connaît une véritable recrudescence de fans et favorise la visibilité du fonds d’archives. Cette utilisation du potentiel de diffusion numérique auprès du plus grand nombre selon des codes actuels devrait s’accentuer en 2019 avec l’arrivée d’un personnage numérique, Marie Dupont, dont l’histoire sera à suivre sur Facebook grâce à des vidéos issues du fonds.

  • 530 films numérisés en 2018
  • 1 100 déposants de films depuis 2006
  • 11 000 films disponibles sur le site memoire.ciclic.fr
  • 12 300 spectateurs aux projections en 2018

SOMMAIRE ▼

Histoire(s) d'engagement(s) : rapport d'activité 2018


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Une région forte de ses talents

Le festival invisible et permanent

L'innovation au service de la pédagogie