Il fait beau... - Analyse du film

Lettre d'une inconnue

Enjeu central du film, la rencontre amoureuse génère un suspense lié à la confrontation d’une réalité imaginaire avec une réalité charnelle. Cette tension est redoublée ici par le fait qu’Adèle est enceinte jusqu’au cou et que Vidal n’en sait strictement rien. Un accessoire souligne cette ignorance : les lunettes noires associées à l’image de Vidal (et plus largement à celle de la pop star) sur le dessin de la pochette de son album. Il porte également ces lunettes lorsqu’il entre dans la cour du Palais Royal et les enlève au moment où il voit Adèle ; un geste qui marque l’entrée en scène de son regard et le met à nu.

Si cette donne – la grossesse – semble creuser davantage le décalage entre image et réalité, on constate que Valérie Donzelli l’intègre tacitement au film. C’est cet implicite disproportionné qui nourrit en partie la dimension comique mais aussi romanesque d’Il fait beau dans la plus belle ville du monde. Le personnage ne mentionne jamais son état (jusqu’à la révélation finale), même aux moments les plus attendus. Il ne s’agit pas pour autant d’un déni de grossesse car Adèle ne cache pas du tout son ventre (excepté à l’arrivée de Vidal), au contraire elle en prend soin et l’assume avec une féminité rayonnante. L’obstacle réside plus généralement dans le fait que, jusqu’au moment de la rencontre, ils aient été pour l’un et l’autre une voix sans corps et que chacun est porteur d’une vérité physique qu’il n’a pas encore exposée à l’autre.

Mélanges des genres

Dès les premiers plans, cette dichotomie fantasme/réalité est entretenue par les choix esthétiques de la réalisatrice sans qu’elle cherche non plus à accuser les oppositions. Cette dissociation ne concerne pas seulement le rapport voix/images : en faisant le choix, au début du film, d’une forme proche du roman-photo, Valérie Donzelli joue avec les clichés et avec une esthétique populaire qu’elle entremêle de manière iconoclaste avec une expression sentimentale rattachée à un registre plus « noble », celui des échanges épistolaires et de la musique au clavecin, très 18ème siècle. A cette enveloppe formelle figée, cristallisée dans le romanesque, répond un contenu plus prosaïque : un journal intime en images où l’on voit Adèle laver ses vitres, petit-déjeuner avec son fils ou étendre une petite culotte.

Ce qui parfait ce tissage entre ces registres hétéroclites c’est le choix du Super 8, d’un côté associé à une forme populaire, le film de famille, mais aussi utilisé dans le cinéma pour son grain, son rendu de couleurs et la nostalgie qui émane de son esthétique à la fois douce et vive. La chef opératrice du film pousse ces deux caractéristiques à leur maximum : les scènes d’intérieur créent par leur éclairage faible et tamisé une proximité pudique avec le personnage, tandis que les scènes d’extérieur, ensoleillées, témoignent d’un éclairage souvent contrasté qui intensifie les couleurs.

Les mots et leur enveloppe

Le choc escompté quant à la découverte de la grossesse d’Adèle n’a pas véritablement lieu. Plusieurs éléments viennent faire diversion et contourner la découverte frontale du ventre rond : les allergies et la suffocation de Vidal, l’excrément de pigeon qui tache sa veste. Etonnamment, ces manifestations triviales ne détruisent pas totalement le lien romanesque qui unissait auparavant les deux correspondants, elles semblent même le renforcer : en effet, au moment où Adèle se rapproche de Vidal pour enlever le « surplus » laissé par le pigeon, leurs deux visages se rapprochent, comme s’ils allaient s’embrasser. Ce cadrage annonce alors le plan final du baiser suspendu. De plus, un nouveau lien sentimental se tisse lorsque la conversation des personnages finit par porter sur les vêtements et se prolonge à travers une anecdote d’Adèle et le changement de tenue de Vidal. C’est sur ce terrain de l’habit, perçu comme une enveloppe protectrice, que les deux promeneurs se retrouvent, unis dans une forme romanesque elle aussi enveloppante et protectrice. L’image réconciliée avec les mots peut alors quasiment se passer de dialogues : l’aveu d’Adèle concernant sa grossesse apparaît dérisoire et la dédicace que l’on devine écrite par Vidal à l’intérieur du livre qu’il lui offre n’a pas besoin d’être lue pour sceller le couple.

Amélie Dubois, 2009