Jean-Gabriel Périot, l'art délicat du réel

En 2015 nous rencontrions le cinéaste Jean-Gabriel Périot, en plein mixage de son premier long-métrage Une jeunesse allemande, pour parler de son travail autour de l'archive.

Votre cinéma est traversé par les archives sous les formes les plus diverses. D'où vous vient ce goût particulier pour le travail sur les images d'archives ?
J'étais stagiaire à Beaubourg, et l'on m'a passé une commande un peu étonnante: remonter une centaine de films déjà existants, sans ajout de narration ni de cartons, ou presque. Exercice de solitude, de rigueur, il faut trouver dans toute cette matière le rythme, la musicalité du montage. J'aime bien l'idée de travailler un peu tout seul, dans mon coin, sans toute une équipe... Loin des contingences de la production classique des films. Se plonger dans les archives, même avec un canevas très écrit, cache bien des surprises, des hasards, et impose souvent des aller-retours avec d'autres matières: les livres, les rencontres. C'est un travail qui pourrait se rapprocher de celui d'un universitaire, on avance par étapes, il faut lire beaucoup, enquêter. Sur mon nouveau film [Une jeunesse allemande], j'ai travaillé avec une documentaliste, il fallait que l'on fasse une recherche classique, assez coûteuse, sur les protagonistes de la Bande à Bader, les images qu'ils avaient tournées, eux à l'époque, et les images que les médias ont donné à voir de ces personnages...

Les images d'archives qui habitent certains de vos films servent un propos fort: on peut parler de cinéma engagé ?
Cela tient à la fois d'une recherche poétique et d'un engagement politique: j'aime pouvoir réfléchir et tenter de comprendre nos problèmes contemporains, comme le vivre ensemble, les enjeux politiques. C'est ce qui m'anime, me donne l'énergie de produire.

L'utilisation de la musique dans votre travail n'est pas anodine...
J'en écoute énormément, elle fait partie de moi, même si je n'ai rien d'un musicien... Dans mon travail elle me permet de créer, entre autres, de la linéarité dans un montage qui lui, ne l'est pas forcément. Elle me permet aussi de susciter de l'émotion, de créer du partage avec le spectateur. 

En revanche, la voix off ne fréquente pas beaucoup vos films.
Je suis très admiratif de ceux qui ont le courage de poser une voix off sur leur film aujourd'hui. L'usage de la voix off dans le cinéma des années soixante et soixante-dix a été parfois magistral, souvent inégalé. Malheureusement, une certaine forme de télevision a usé et abusé de l'outil, le dévoyant au passage, fabriquant une autre forme de narration qui n'a pas grand-chose à voir avec le documentaire. Polluée, la voix off désormais est à manipuler avec tant de pincettes: d'aucuns réussissent brillamment, d'autres moins. J'aime faire une forme de cinéma muet, dans lequel le territoire géographique de la langue n'est pas inscrit.

Et pour la suite ?
Je veux faire un autre film, vite. Avec des gens que je pourrais filmer. Les images d'archives, c'est une plongée, un tunnel un peu mortifère. Je veux filmer de nouveau, comme pour me laver la tête. 

Jean-Gabriel Périot construit, souvent à partir d'archives préexistantes, photographies, films, fichiers internet, une œuvre de réflexion sur le statut polymorphe de la violence dans nos sociétés. Tout passe par le pouvoir des images, sans discours, sans commentaires : une pensée-cinéma.
À travers ses installations et ses vidéos, Jean-Gabriel Périot joue de la manipulation d'images, affectionnant les montages syncopés, quitte l'esthétique pour travailler le discours, forcément politique, sort de l'image pour s'attaquer à l'espace. Il aime brouiller les pistes et multiplier les fonctions et les supports en se plaçant là où on ne l'attend pas. Ses films ont été sélectionnés et primés dans les festivals du monde entier.

Source :  www.cotecourt.org