Faire de l'Espagne, la maison de retraite de l’Europe

La plupart des pays européens ont été frappés par une crise économique majeure en 2008. En Espagne, le secteur de l’immobilier a particulièrement souffert de cette crise provoquant une forte hausse du chômage et l’arrêt complet d’un certain nombre de programmes immobiliers de grandes envergures. Pour illustrer cela avec légèreté et intelligence, petit détour par la région de Murcie avec le documentaire de Lucia Sanchez La Guerre du golf et ses résidences sécurisées, complexes hôteliers complets, appartements entièrement équipés « les pieds dans l’eau »...

Séduits à l’idée de pouvoir s’offrir un lieu de villégiature luxueux au bord de la méditerranée et à proximité d’un parcours de golf qui leur serait réservé, de nombreux retraités, notamment anglais, ont investi dans la pierre et acheté du rêve à des promoteurs immobiliers peu regardants sur l'ambition de leurs projets. C’est dans ce contexte, et plus précisément dans la région de Murcie, au sud-est de l’Espagne, que la réalisatrice Lucia Sanchez situe l’action de son documentaire La Guerre du golf. Avec beaucoup d’humour et un regard mordant sur la réalité écologique et économique de ce type de projets immobiliers, la réalisatrice nous emmène au cœur de cette région gorgée de soleil et aborde sans concession les conséquences de ces constructions gigantesques.

Les témoins invités à s'exprimer sur ce type de programmes immobiliers sont nombreux : des habitants qui se montrent très réservés quant à l'intérêt d'avoir construit 16 parcours de golf 18 trous dans un périmêtre aussi réduit ; un professeur de golf ou quelques élus locaux vantant les perspectives inespérées pour l'économie locale que ces constructions et leurs nouveaux habitants vont apporter ; un ornithologue qui mesure les effets désastreux de cette massive urbanisation sur les populations d'oiseaux ; des paysans désespérés, d'abord parce que beaucoup de leurs terrains sont préemptés par l'Etat, sans aucune négociation possible, pour y bâtir ces résidences et ces terrains de golf, et ensuite parce que l'eau, très convoitée dans cette région naturellement sèche, est une ressource trop rare pour qu'elle soit largement destinée à l'entretien et l'arrosage des terrains de golf au détriment de leur propres récoltes.

Et les utilisateurs de ces nouvelles résidences, qu'en disent-ils ? Les témoignages de retraités anglais qui illustrent le film laissent pour le moins dubitatifs quant à l'intérêt de ce projet de vie : cantonnés dans des résidences artificielles et sans âme, peu enclins à découvrir le patrimoine local et leurs habitants et réduits à faire leur course dans des supermarchés de la chaîne anglaise Iceland, ces expatriés s'accrochent à la promesse du soleil "300 jours par an", d'un appartement climatisé et d'un fort pouvoir d'achat, qui paraissent alors bien maigres.

"Trop de construction détruit notre région", c'est l'un des slogans prononcés par des manifestants descendus dans la rue pour défendre les petits agriculteurs dépossédés de leurs terres et dénoncer la corruption des élus complaisants avec ces promoteurs immobiliers sans scrupule. La vaste crise économique qui a largement frappé la planète et notamment les pays européens à partir de 2008, a tristement donné raison aux opposants de cette urbanisation non raisonnée. 300 000 logements prévus ne verront finalement jamais le jour et seront décrétés "non viables" par les organismes bancaires censés les financer. Des résidences entièrement construites et aménagées ne seront jamais vendues et sont à l'abandon aujourd'hui.

Dans cette vaste galerie de personnage, la réalisatrice n'oublie pas non plus de donner la parole aux grands perdants de ce projet fou : les ouvriers du bâtiment ayant tout quitté pour venir travailler à Murcie et qui s'y trouvent aujourd'hui pris au piège, n'ayant plus assez d'argent pour en repartir.

Au-delà du jeu de mot, le documentaire La Guerre du golf souligne et rappelle à qui veut l'entendre que l'urbanisation massive, non controlée et le développement économique à tout prix sont imposées par ceux qui en tireront les bénéfices au détriment du reste de la population qui en paiera les conséquences. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être fortuite.

Actrice au théâtre et au cinéma, Lucia Sanchez réalise également des films, d'abord trois courts-métrages de fiction : Les Mains de Violeta, Siestes et Salomé ! qui seront primés dans plusieurs festivals. Après un séjour à l'Ecole de cinéma de La Havane, elle se tourne vers le documentaire. En 2002 elle réalise Las Amigas, suivront Pick up, un film sans paroles sur une station balnéaire du sud de l'Espagne (la lucarne-Arte) et en 2005 Profanations, un essai sur les souvenirs d'une éducation catholique. Elle prepare actuellement un long metrage de fiction.

Filmographie documentaire :
2002 : La Amigas
2005 : Pick up
2007 : Profanations
2007 : Tous européens ! Sybille
2010 : Sandra
2010 : Les Belles et les bêtes
2011 : La Guerre du golf